Archives et construction de la citoyenneté

April 24, 2018 | Author: Anonymous | Category: N/A
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Pôle National de Ressources Patrimoine-Archives

Archives et construction de la citoyenneté

formation nationale – 6 & 7 avril 2005, IUFM de Paris-Molitor, CHAN

ACTES du SÉMINAIRE

ARCHIVES ET CONSTRUCTION DE LA CITOYENNETÉ :

Sommaire Ouverture

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Jean-Pierre PREUD’HOMME Chargé de mission au service culturel de l’IUFM de Paris

Définition de la citoyenneté

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Alain LE GUYADER Maître de conférence en sociologie, Université d’Evry

Définition des archives

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Bruno GALLAND Conservateur en chef du patrimoine, responsable de la section ancienne aux archives nationales

Table ronde

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Construction de la citoyenneté à l’école

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Alain BERGOUNIOUX Inspecteur général d’histoire-géographie.

Concevoir les archives comme porteuses de valeurs citoyennes

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Caroline PIKETTY Conservateur aux archives nationales

S’approprier le patrimoine écrit, oral et figuré pour donner du sens à l’environnement citoyen 25 Georges MOURADIAN Permanent de la CGT au Ministère de la Culture

Restitution des ateliers par les participants

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PNR Archives 6 & 7 avril 2005

Ouverture Jean-Pierre PREUD’HOMME Chargé de mission au service culturel de l’IUFM de Paris

Je vous remercie d’être venu assister à cette manifestation, qui en est à sa troisième année d’existence. La thématique que nous vous proposons d’aborder durant ces deux jours découle directement des conclusions que nous avions tirées l’an passé de notre analyse des rapports entre les archives et la transdisciplinarité. Deux notions nous avaient semblé particulièrement intéressantes : l’intention transversale d’une part - un sujet qui ne se situe pas au cœur de l’action qu’il vit éprouve des difficultés à utiliser des savoirs déjà construits par ailleurs -, la motivation sociale d’autre part. Ces deux éléments nous autorisent à travailler sur la notion de citoyenneté. Ils sont à la base de la question que nous vous posons cette année : comment le monde des archives et celui de l’école peuvent-ils collaborer pour construire la notion de citoyenneté ? Nous espérons que nos deux jours de débats nous permettront d’identifier quelques éléments de réponse. Ces débats seront divisés en quatre temps. Le mercredi 6 avril, nous tenterons de construire une mémoire commune autour des concepts de citoyenneté et d’archives, avant d’interroger ces notions du point de vue des institutions - d’abord l’école, ensuite les archives. Le jeudi 7 avril, les participants à nos travaux se répartiront en quatre ateliers, qui constitueront autant de prétextes à témoignages et à échanges, avant qu’une visite ne soit organisée dans l’après-midi au centre historique des archives nationales.

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Définition de la citoyenneté Alain LE GUYADER Maître de conférence en sociologie, Université d’Evry

Mon intervention se veut avant tout une réflexion sur les concepts. Elle pose problème dans la mesure où la définition de la citoyenneté est l’enjeu d’un débat. Il appartient d’ailleurs à ce concept de citoyenneté qu’il soit en permanence en débat. La notion de citoyenneté, qui emporte avec elle un certain nombre de valeurs, n’est pas neutre. Comme le pensaient les Grecs, elle a quelque chose à voir avec la définition même de l’humain. Les penseurs modernes ne définissent pas l’être humain par son intelligence ou par ses types de comportement, mais bien par sa liberté. Une société n’est pas fondée sur un héritage archaïque, mais sur l’action commune de la communauté des citoyens. Il existe un certain nombre de paradoxes et de questions. Aujourd'hui s’impose au premier chef l’idée qu’il existerait une crise de la citoyenneté. Cette idée est paradoxale en cela qu’elle correspond à la fois à un déni et à une demande de citoyenneté. Il est dit que nos sociétés ne sont pas suffisamment démocratiques. Pour autant, la citoyenneté apparaît en déshérence. Le mot « crise » n’est pas tragique. Il signifie simplement qu’un organisme habitué à fonctionner d’une certaine manière ne peut plus fonctionner de cette manière. Il existe deux façons de sortir d’une crise : en la niant ou en s’interrogeant sur les valeurs de ce qui est en crise. L’histoire de la modernité est marquée par un certain nombre de crises de la citoyenneté. Ainsi, dans les années 30, le fascisme et le nazisme ont mis en cause la notion de citoyenneté telle qu’issue des grandes révolutions des années antérieures. Le fascisme, le nazisme, mais également le totalitarisme soviétique - ou bolchevisme -, prônaient la liquidation de l’héritage libéral. La crise que nous vivons aujourd'hui est différente. Par le passé, ceux qui critiquaient la citoyenneté - donc les démocraties libérales - ne remettaient jamais en cause l’Etat nation, même dans les idéologies les plus impériales. Au contraire, c’était au nom d’une certaine conception de la nation que l’on partait à l’assaut de la démocratie. Aujourd'hui, il ne nous est plus donné d’assister à la mort des nations, mais à une relativisation et à une subordination des nations entendues au sens d’Etats territoriaux souverains. Il existe un phénomène irréversible : les nations ne sont plus souveraines. La crise actuelle est dangereuse en cela qu’elle affecte les fondements mêmes de la citoyenneté moderne et, in fine, met en cause le primat du politique. De fait, une question se pose : l’instance politique qui régule les sociétés modernes restera-t-elle l’instance centrale des sociétés qui voient actuellement le jour ? Cette question est absolument essentielle en cela que la notion de citoyenneté est liée à la notion de liberté politique. Affirmer qu’il existe une citoyenneté moderne revient à sous-entendre qu’il existe également une citoyenneté non moderne. Cette citoyenneté non moderne est celle des Grecs. A la différence des démocraties contemporaines, au sein desquelles la citoyenneté est représentative dans un cadre national, la démocratie grecque était directe. Ce concept fait apparaître l’ambiguïté extrêmement forte du rapport entre la citoyenneté et la nationalité, puisque le citoyen est à la fois ressortissant

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d’un Etat souverain et membre du souverain - il participe indirectement au processus de décision politique. Il existe d’autres différences entre la société grecque et la société moderne. Ainsi, la première était une société esclavagiste, ce que la seconde ne tolère plus. De plus, la citoyenneté grecque n’était pas fondée sur l’idée que les individus possédaient des droits subjectifs. Les Grecs ignoraient les droits de l’homme. Leur citoyenneté exprimait un certain élitisme. Par ailleurs, les Grecs considéraient qu’il existait une compétence universelle : tous les citoyens mâles étaient capables « par nature » et, de ce fait, avaient le droit et le devoir de participer au débat politique. Ainsi, le citoyen était d’abord la personne qui participait au processus de décision politique - entendue comme la sphère autonome et abstraite qui transcende les particularités sociologiques des ego. Tout citoyen devait être capable de commander et d’être commandé, la souveraineté étant définie comme l’aptitude d’une personne, d’un corps ou de l’ensemble des citoyens à dire la loi. Il existait donc un rapport très étroit entre l’idée de dire la loi et la citoyenneté. Face à cela, la citoyenneté moderne a inventé la représentation. Il s’agit d’un concept très étrange en cela que le représentant, finalement, ne représente rien. Il n’est qu’une représentation métaphorique des mandants. De fait, les électeurs ne participent qu’indirectement au processus de décision politique. Ce n’est pas pour autant que la démocratie directe a totalement disparu des sociétés modernes. Simplement, le concept de démocratie représentative s’est installé. Il ne s’agit de rien d’autre que d’une mise à distance du peuple. D’ailleurs, sa difficulté à se constituer en communauté politique constitue bien l’un des grands problèmes de l’Europe. Un autre point important mérite d’être souligné : pour les Grecs, le citoyen primait l’expert. Il s’agit d’une notion fondamentale voulant que le citoyen, au-delà de sa capacité à participer au processus de décision politique, est celui qui est capable de déterminer les fins de la cité. D’ailleurs, selon ce concept, le citoyen n’existe pas en tant qu’individu. Seule existe une communauté des citoyens. Les citoyens n’existent qu’ensemble. L’idée de citoyenneté est liée à l’idée de démocratie dans la mesure où elle est liée à une auto-institution de la société par ses membres. En dépit de toutes ces différences, il existe une tendance forte, qu’il soit question de la société grecque ou de la société moderne, à rapprocher la notion de citoyenneté de la notion d’égalité. Historiquement, ce rapprochement est pourtant inexact. Ainsi, Rome, qui a réintroduit la notion de citoyenneté, était une République, mais pas une démocratie. En effet, les trois classes les plus pauvres, qui étaient également les plus nombreuses, ne votaient jamais. De même, la Révolution française a distingué les citoyens actifs - qui jouissaient de droits politiques - et les citoyens passifs - qui jouissaient de droits civils, mais pas de droits politiques. L’idée d’une démocratie idéale n’a finalement été qu’une conquête historique de révolutions et de mouvements sociaux, qui ont permis l’intégration des classes laborieuses dans l’espace national. Le concept d’intégration est à la fois sociologique - il permet de comprendre ce qu’est une nation - et politique - l’individu intégré participe à l’auto-institution d’une société.

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De la salle De quelle manière intégrez-vous à votre réflexion le passé colonial de nombreuses sociétés modernes ? Alain LE GUYADER La société grecque était une société directe et ethnologique. Pour les Grecs, l’esclavage était normal. En France, il a d’abord été aboli par la Convention, puis réintroduit par Napoléon Bonaparte, avant d’être définitivement aboli par décret en 1848. Pour autant, l’esclavagisme, au même titre que le colonialisme, reste une composante essentielle de l’histoire de France. Or au concept de citoyenneté appartient l’idée d’une reconnaissance mutuelle d’histoires communes. De fait, les citoyens doivent se raconter ensemble leur histoire pour bâtir le futur. Malheureusement, l’histoire des jeunes originaires du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne n’est jamais évoquée. Le problème est légèrement plus complexe - voire paradoxal - dans les DOM-TOM, car la question de l’esclavage a beau y être omniprésente, personne n’ose poser le problème en des termes politiques. Pourtant, il est impossible de bâtir une communauté de citoyens sans partager un récit dans lequel tout le monde se reconnaît. Les jeunes des DOM-TOM évoquent le passé de leurs îles en utilisant le terme de colonisation. Ce terme est inexact. Leurs ancêtres n’ont pas vécu dans une société colonisée. Ils ont vécu dans une société esclavagiste. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une thématique qui doit être maniée avec la plus extrême prudence. Tant que les questions qu’elle sous-tend n’auront pas été traitées, autrement dit tant qu’il subsistera un problème de reconnaissance dans nos sociétés, l’idée d’un partage de valeurs communes ne sera pas satisfaite et nous ne pourrons pas nous reconnaître mutuellement comme étant des citoyens. Pour autant, à la différence des Grecs et des Romains, la démocratie moderne n’est pas intrinsèquement esclavagiste. Les idéaux sur lesquels reposent nos démocraties sont issus de la Grande Révolution 1789/1792. Ils avaient un potentiel d’universalisation qui ne se retrouve pas dans les sociétés athéniennes et romaines. La démocratie directe est un fantôme qui hante la démocratie moderne. Il est erroné d’affirmer que nos sociétés ont évacué la démocratie directe au motif qu’elle serait inappropriée. La plupart des grands mouvements sociaux et des révolutions ont vu réapparaître l’exigence de démocratie directe. Ainsi, la floraison de coordinations en tout genre représente l’une des grandes innovations de ces vingt dernières années. L’idée qu’il est nécessaire d’être physiquement présent dans la conquête et la défense des droits est revenue sur le devant de la scène. Il n’est pas possible de tout déléguer. La floraison de mouvements associatifs, qui, après tout, ne représentent qu’eux-mêmes, renferme également l’idée d’une participation directe des citoyens au développement local. A ce propos, la loi sur la démocratie de proximité, votée en 2002, est l’une des lois les plus paradoxales jamais rédigées. En effet, cette loi prévoit l’instauration de comités de quartiers. Or ses membres ne sont pas élus et ne possèdent aucun pouvoir de décision. En fin de compte, la démocratie de proximité apparaît comme n’étant pas démocratique, ce qui est pour le moins étrange.

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Le terme citoyen définit un statut juridique qui donne le droit de participer au processus de décision politique et dont la légitimité se fonde sur des droits. La citoyenneté, qui est un droit inconditionnel, rassemble les droits politiques et l’ensemble des droits auxquels ont droit les citoyens. Il ne saurait exister de citoyenneté sans indivisibilité des droits. Ce qui fonde les droits d’un individu à être citoyen sont les droits de l’homme. Il n’existe pas de souveraineté absolue du peuple. Les individus sont reconnus en tant que citoyens en raison des droits de l’homme. Aucune décision de la communauté des citoyens ne peut violer ces droits. Le retour de la citoyenneté dans le débat public s’est avéré très paradoxal, car la citoyenneté n’a plus été entendue en tant que concept politique, mais en tant que concept social et moral. Or la citoyenneté est un concept politique qui restitue à l’individu sujet son droit inconditionnel à participer au processus de décision. De fait, le concept classique de modernité de la citoyenneté s’est trouvé remis en cause pour des raisons structurelles. La citoyenneté traverse une crise. Elle est exhibée comme une exigence impérative alors que nul ne sait plus où se trouve son point d’application politique. Dans les années 50, devenir citoyen était clair. Aujourd'hui, le lieu du politique est incertain. Or le politique national ne peut plus réguler l’ensemble des dimensions constitutives de la société. La mondialisation, qui revêt différentes formes - économique, technologique ou autre -, est passée par là. Un certain nombre de dimensions de la société échappent à l’espace national. De fait, il n’est plus possible de considérer, au sujet de nombreux problèmes, qu’ils relèvent d’un seul Etat politique national. Au final, j’en viens à penser que nous nous trouvons à un point tel qu’il est temps de procéder à une reconfiguration du politique. Il en va de notre responsabilité de citoyen de reconfigurer des communautés de citoyens aujourd'hui très complexes. Ce travail d’invention, que nous devons réaliser, appartient au concept de citoyenneté.

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Définition des archives Bruno GALLAND Conservateur en chef du patrimoine, responsable de la section ancienne aux archives nationales

Mon exposé, qui s’appuiera beaucoup sur des définitions juridiques, vous paraîtra certainement plus austère et moins intéressant que l’intervention de Monsieur Le Guyader, mais il m’est apparu essentiel, avant de discourir d’un concept, d’en poser les bases. Cet exposé débutera par une anecdote très significative. Au bureau des archives de la Croix-Rouge, installé à Genève, il était indiqué, il y a quelques années, que le mot archive, d’origine grecque, signifiait autorité et pouvoir, et non pas archaïque. Bien qu’inexact, ce rapprochement correspond parfaitement à l’origine des archives, lesquelles ont d’abord eu comme objectif de répondre à la nécessité qu’ont les institutions et les personnes privées de conserver les documents qui font preuve de leurs droits. De fait, le premier souci de conservation des archives s’est avéré être probatoire. Il était question de conserver la trace de privilèges ou de droits.

I.

Définition des archives

La loi de 1979 a défini les archives comme étant « l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale, et par tout service ou organisme public ou privé, dans l’exercice de leur activité ». A ce sujet, il me plait de rappeler que le fait que plus nous avançons dans le temps et moins nous produisons d’archives sous forme papier n’est qu’une illusion. La quantité d’archives produites sous forme papier n’a jamais été aussi imposante qu’à l’heure actuelle. Par ailleurs, il est trop souvent considéré qu’un document est une archive dès lors qu’il n’a plus d’utilité. Cette définition est complètement fausse. Tout document, dès sa création, est un document d’archive. De ce fait, les archives sont des documents dont l’on a et dont l’on aura toujours besoin. Ainsi, les archives ne sont pas uniquement conservées pour des raisons historiques. La première raison de conservation d’un document est que celui-ci a un intérêt direct. Le fait qu’il soit écrit, dans la loi de 1979, que les archives sont l’ensemble des documents produits ou reçus « par toute personne physique ou morale, et par tout service ou organisme public ou privé, dans l’exercice de leur activité » prouve bien que les archives sont des documents produits au fur et à mesure d’une activité, sans souci d’une réutilisation a posteriori. Les documents archivés ont pour grand avantage de dégager une présomption de sincérité plus forte que des mémoires ou des chroniques, qui ont tendance à largement modifier la manière dont les évènements qu’ils racontent se sont réellement déroulés. Cette présomption d’innocence ne doit cependant pas être exagérée. En effet, lorsqu’une corporation de métiers adressait un courrier au roi pour solliciter l’allègement d’une taxe, ou lorsqu’une abbaye se plaignait auprès du Pape que les

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impôts auxquels elle est soumise sont trop lourds, il est bien évident que la manière dont ces courriers étaient rédigés et les arguments sur lesquels ils reposaient n’étaient pas nécessairement d’une grande sincérité. De fait, les matériaux d’archives ne sauraient faire l’économie d’une critique poussée. Les archives étant produites dans l’exercice d’une activité, le dossier d’archives doit être distingué du dossier de documentation, rassemblé a posteriori pour collecter des informations d’origines diverses sur un sujet donné. Les archives sont liées à l’activité de celui qui les a produites, ce qui a une conséquence directe sur la manière dont elles doivent être organisées et classées, pour ensuite être utilisées par le public. Le grand principe de l’organisation des archives est le respect des fonds. Ce principe veut que les documents d’archives produits par une même institution ou par une même personne doivent rester groupés et ne pas se retrouver mélangés avec des documents d’une autre provenance. Une bonne utilisation du document d’archive implique de se poser une question : par rapport au sujet qui m’intéresse, quelle institution, quelle personne ou quel service s’y est intéressé à un moment donné ? La définition de 1979 est exhaustive. Elle se veut englobante afin d’éviter que ne soient commises les deux erreurs les plus communes. La première vise à considérer que lorsque des documents sont intéressants, ils ne constituent pas des archives. La seconde estime que les documents produits sous une forme informatique ne sont pas des archives.

II. Organisation des archives en France L’histoire des archives est liée au pouvoir. Durant longtemps, la conservation des archives a constitué une caractéristique des autorités politiques. Les archives les plus anciennes qui existent en France sont les documents produits par les églises, les abbayes ou les couvents. Deux raisons expliquent cela. Au Moyen-Age, les établissements ecclésiastiques ont assuré un minimum d’organisation administrative et politique. De plus, ils ont reçu de si nombreuses donations et privilèges qu’ils ont jugé nécessaire de les conserver, de peur que ces donations et ces privilèges ne leur soient contestés dans le futur. Ce n’est que bien plus tard que les autorités politiques ont commencé à s’intéresser à la conservation des archives. L’origine des premières archives des rois de France remonte à la fin du 12e et au début du 13e siècle, lorsque le domaine royal a commencé à augmenter de manière tellement significative qu’il est apparu essentiel d’en garder la trace écrite, preuve tangible de l’autorité que le roi exerce sur son domaine et du lien qui unit les principautés territoriales au roi. Les premières chartes conservées ont d’ailleurs été désignées sous le nom de « trésor des archives ». L’histoire des archives apparaît donc extrêmement liée au pouvoir. Cela a duré très longtemps. Ainsi, tout au long de l’Ancien Régime, lorsque des échanges ou des cessions de territoires sont intervenus entre Etats, les archives relatives à l’histoire de ces territoires ont suivi, car il était considéré qu’elles étaient liées aux territoires. Au fil du temps, l’application de ce principe a fini par s’étioler. Ainsi, il a fallu plus d’un demi-siècle à la France pour récupérer une partie des archives relatives à la Savoie et à la Haute-Savoie. Ce n’est qu’à l’issue de la seconde guerre -8-

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mondiale que la France, profitant de son statut de nation vainqueur de la guerre, a pu imposer à l’Italie de lui transférer ces documents. Ce genre de controverse n’a pas totalement disparu. Ainsi, l’an passé, un contentieux est né entre l’Algérie et la France, qui conserve encore une partie des archives de son ancienne colonie. Le fait qu’en France, encore aujourd'hui, les archives des Ministères de la Défense et des Affaires étrangères échappent à l’organisation nationale des archives constitue une preuve supplémentaire du lien étroit qui lie le pouvoir aux archives. Ainsi, même la Préfecture de Police de Paris échappe au droit commun et conserve ses propres archives. L’organisation actuelle des archives est le fruit de la révolution. Lorsque les représentants de la nation se sont proclamés en Assemblée Nationale, l’une de leurs premières préoccupations a consisté à assurer la conservation des archives. Ces archives de l’Assemblée ont été appelées « archives nationales ». Au fur et à mesure de leur constitution, les archives des autres autorités s’y sont ensuite ajoutées. La loi opère une distinction fondamentale entre les archives publiques et les archives privées. Les premières regroupent « les documents qui procèdent de l’activité de l’Etat, des collectivités locales, des établissements et entreprises publiques ; les documents qui procèdent de l’activité des organismes de droit privé chargés de la gestion des services publics ou d’une mission de service publique ; les minutes et répertoires des officiers publics ou ministériels ». Quant aux archives privées, elles rassemblent tous les documents qui n’entrent pas dans le cadre de cette définition. La conservation des archives publiques est organisée pour la recherche historique et le fonctionnement même des administrations. Cette organisation repose sur un service central de contrôle du système archivistique français - Direction des archives de France - et sur des services opérationnels qui interviennent aux différents niveaux des pouvoirs publics - niveau national pour l’administration centrale, niveau territorial pour les administrations locales. Les archives nationales sont réparties en un certain nombre de sites. Dans quelques années, un nouveau centre ouvrira à Saint-Denis Pierrefitte. L’organisation des archives nécessite une collecte, qui repose sur un dialogue entre les services qui produisent les archives et les services qui les conservent. Ce dialogue a pour finalité d’évaluer l’intérêt historique et la valeur probatoire des documents. Les archives sont conservées afin d’être mises en valeur et communiquées. Un principe général édicte que tous les documents sont communicables à tout citoyen qui en ferait la demande. Cependant, il existe quelques restrictions pour certaines catégories de documents. De fait, certains documents ne sont consultables que de nombreuses années après leur date de production. Ces délais font l’objet de débats incessants. Toutefois, il est possible de formuler une demande de dérogation pour ces documents qui ne sont pas immédiatement consultables. En règle générale, 90 % des demandes reçoivent une réponse positive.

III. Enjeux des archives en France Il convient dans un premier temps de rendre la consultation des archives plus facile, ce qui suppose que les archives nationales entament une réflexion sur l’amélioration des conditions d’accès.

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La collecte des archives doit également être améliorée. En effet, il est indéniable qu’un certain nombre de services et d’administrations, que ce soit par négligence ou par mauvaise volonté, procèdent à de la rétention de documents. Cette nécessité d’amélioration de la collecte concerne au plus haut point les archives privées. Toutes les actions de valorisation et de communication visant à faire prendre conscience de la nécessité de conserver ces archives sont les bienvenues. Les supports de production d’archives devront faire l’objet de modifications afin que, petit à petit, l’informatique supplante le papier. Enfin, je ne saurai conclure cet exposé sans mettre en exergue la grande vitalité du réseau associatif des archives. Un lien étroit unit les archives et les citoyens. Il convient de le faire perdurer et de l’amplifier.

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Table ronde Participants : Bruno GALLAND, Conservateur en chef du patrimoine, responsable de la section ancienne aux archives nationales. Alain LE GUYADER, Maître de conférence en sociologie, Université d’Evry.

De la salle Il me semble important de faire découvrir aux plus jeunes de nos concitoyens ce que sont les archives. Après tout, l’accès aux archives est un droit que possède tous les citoyens. La semaine dernière, j’ai eu l’occasion d’accompagner de jeunes élèves lors de leur visite d’un centre d’archives. J’y ai entendu un enfant de sixième se déclarer content qu’il lui soit fait suffisamment confiance pour que lui soient transmis des documents originaux. Pour autant, il n’est pas évident de faire transparaître aux enfants qu’il existe un lien très fort entre la citoyenneté et le politique. Cette idée reste très difficile à faire passer. Alain LE GUYADER Cette question de l’éducation est vive et emprunte de toutes les idéologies qui circulent sur l’enfant, ses droits et la figure de l’individu dans nos sociétés. Les institutions éducatives ont vu leur finalité devenir brouillée et incertaine. La question du politique est cruciale. Le travail en amont relève de l’école. Assister à un conseil municipal sans travail d’explication préalable des enseignants ne sert à rien. La fausse opposition entre tradition et citoyenneté constitue l’un des points faibles de la formation. Il n’est pas possible d’être citoyen sans s’inscrire dans une histoire. La citoyenneté a quelque chose à voir avec le concept d’émancipation. De fait, ce dernier doit être expliqué. L’émancipation est une valeur centrale. La confusion qui s’opère entre l’individu, sa catégorie sociologique et l’individualisme est néfaste. Un individu n’existe comme citoyen que s’il est formé comme sujet, donc doté d’une capacité réflexive. Aucun citoyen n’existe seul. Il partage des valeurs avec d’autres citoyens. L’individualisme est une perversion du statut d’individu. Il faut réinvestir le concept de tradition de l’émancipation. Sans mémoire, il n’existe pas de citoyen. De la salle Il a été dit que les archives nationales rassemblaient des archives publiques et des archives privées. Or les archives de Roubaix ne regroupent quasi-exclusivement que des archives privées. Il s’agit donc d’une modification du principe originel de conservation des archives.

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Bruno GALLAND Ce n’est pas exactement cela. Les services d’archives ont, durant très longtemps, complété les fonds provenant d’institutions publiques par des fonds provenant de personnes, de familles ou d’associations. Dans les faits, jusqu’à la moitié du 20e siècle, une grande importance était accordée aux archives des familles. Ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale qu’un certain intérêt est né pour les archives des associations, des syndicats et des partis politiques. Il ne s’agit pas pour autant d’une modification politique profonde. Il faut davantage y voir la prise en compte du fait que les archives privées ne correspondent pas seulement aux archives familiales, mais également aux archives associatives. Au final, il ne s’est agi que de l’amplification d’un principe ancien. De la salle Les archives des Ministères de la Défense et des Affaires étrangères tombent-elles sous le coup de la même loi d’ouverture au public que les autres archives ? Bruno GALLAND Oui. Pour autant, leur organisation est différente. Le contrôle de ces archives n’est pas exercé par la Direction des archives de France, mais par les Ministères eux-mêmes, pour peu que soient respectées les mêmes dispositions légales. De la salle Monsieur Le Guyader nous a affirmé que les nations n’étaient plus souveraines. Ce propos m’a quelque peu choquée. Un professeur ne peut pas tenir ce genre de propos à ses élèves, car ces derniers ne trouveraient alors plus aucune utilité à aller voter. Or il en va de notre rôle d’inciter les jeunes à participer à la vie politique de leur pays. Alain LE GUYADER Il est regrettable qu’un certain nombre de manuels ne soient pas à la hauteur du temps présent. Il n’est pas possible de fonder une éducation sur un mythe ou un mensonge. Il convient de préparer les actuels élèves - et futurs adultes - au monde tel que nous le vivons. Il n’y a rien de pire que de ne pas trouver dans la réalité ce qui a été enseigné à l’école. Or il est incontestable que les nations, entendues au sens d’Etats territoriaux modernes, ne sont plus souveraines. L’Europe en constitue le meilleur exemple. Ainsi, 60 % des lois votées en France ne sont pas élaborées au sein de notre Parlement, qui ne joue que le rôle d’une chambre d’enregistrement. Cela ne signifie pas que la souveraineté nationale a totalement disparu, puisque c’est bien au sein des nations que s’est formée la citoyenneté moderne. De plus, il existe un principe de subsidiarité voulant que tout ce qui peut être traité au plan national ne saurait être traité au niveau européen. La plupart des grandes régions économiques se construisent par le regroupement d’un certain nombre de pays. Le fonctionnement géopolitique du monde est ainsi. Il n’y a pas lieu de le - 12 -

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regretter, car l’Etat nation n’est plus l’instance dans laquelle tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés peuvent être traités. Simplement, ce fonctionnement ne pourra devenir optimal que lorsque aura été résolu le problème de l’artificialité, du fait de la colonisation, d’un certain nombre de pays africains. Un nouveau concept tend à émerger : celui de gouvernance. Il entre en concurrence avec le concept de gouvernement. En effet, les positions adoptées dans le cadre de la gouvernance, tout en répondant à une exigence, ne sont plus réellement démocratiques, car elles sont le fruit d’instances qui ne sont pas élues. En conclusion, retenons que pour responsabiliser les élèves, il convient de leur dire la vérité. Cette vérité énonce que la nation n’est pas souveraine. Il est d’ailleurs heureux qu’il n’y ait plus de souveraineté absolue, car nous avons vu ses dérives tout au long de l’histoire. Pour autant, les nations restent des piliers qu’il faut rénover dans des espaces politiques nouveaux et multidimensionnels. De la salle Les élèves de Martinique et de Guadeloupe font face à un grand problème de citoyenneté. Sont-ils Français, Guadeloupéens, Martiniquais ou Européens ? Se sentir Français leur est très difficile. Se sentir Européen l’est encore davantage. Ils ont tendance à se sentir d’abord et avant tout Martiniquais ou Guadeloupéens. Alain LE GUYADER Vous avez raison, il s’agit d’un véritable problème. De nos jours, la question de l’identité est prégnante. La thèse générale veut que la citoyenneté institue le lien social. Or nos identités particulières sont régulées par nos identités politiques. Le problème de la Martinique et de la Guadeloupe est à la fois général et spécifique. Dans nos sociétés contemporaines, les identités ne sont pas identitaires, mais multidimensionnelles. De plus, aux Antilles, il convient d’intégrer la dimension française, la dimension locale et l’appartenance à la zone caribéenne. Tout cela est difficile à gérer. C’est à nos compatriotes d’Outre-mer qu’il importe de savoir ce qu’ils veulent devenir. La question ne se pose pas en termes d’indépendance l’exemple d’Haïti est trop présent dans les esprits. Elle porte davantage sur la construction d’une identité qui exprime l’estime de soi. Seule cette identité concourra à faire des Martiniquais et des Guadeloupéens des acteurs de leur propre histoire et des citoyens à part entière. Cette question est passionnante. Elle remue toute une histoire en même temps qu’elle projette vers la configuration d’une autre histoire. Peut-être faut-il y voir une chance pour la Martinique et la Guadeloupe de construire quelque chose d’original, une citoyenneté qui ne serait pas uniquement arrimée à la métropole. Le danger serait de penser qu’il existe une identité homogène et pleine qui aurait été refoulée. Il s’agit d’une illusion. L’exhibition individualiste du droit à la différence est un élément pervers du débat sur la citoyenneté. Il convient de soutenir avec la plus grande fermeté l’idée qu’il ne peut pas exister de droit à la différence, faut de quoi nous justifierions tout, y compris les pires atrocités.

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De la salle Il est souvent affirmé que pour permettre aux élèves de construire leur citoyenneté, il est indispensable de les aider à s’approprier leur histoire originale. C’est à cette fin qu’un programme local d’histoire et de géographie a été défini en Martinique et en Guadeloupe. Malheureusement, là où il devrait être obligatoire, ce programme n’est que « conseillé » aux professeurs des autres académies, si bien qu’au final, ces questions ne sont quasiment abordées qu’aux Antilles. C’est dommage. Les enfants antillais se sentiraient mieux s’ils avaient le sentiment que leur histoire est connue de leurs camarades de l’hexagone. Alain LE GUYADER Je partage complètement votre opinion. Il est totalement scandaleux qu’il ne soit que conseillé aux professeurs de parler de l’esclavage. Cette histoire commune doit être enseignée dans les écoles. En n’enseignant pas cette histoire, c’est notre propre histoire que nous occultons. De la salle La loi du 23 février 2005 ne risque pas d’arranger cette situation. Alain LE GUYADER Il est indéniable que nous avons un problème avec notre histoire. Nous jonglons avec les identités et les droits à la différence. Je m’en désole. Pour construire l’avenir d’une Europe jouant un véritable rôle géopolitique, nous devons assumer tous les aspects de l’histoire européenne, y compris en France. Il en va de notre responsabilité d’enseigner l’histoire vécue dans les Antilles.

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Construction de la citoyenneté à l’école Alain BERGOUNIOUX Inspecteur général d’histoire-géographie.

Le sujet est d’importance. Il figure au cœur des missions de l’école depuis les années 1880. Aucun Ministre, mis à part sous Vichy, n’a remis en cause le principe de construction de la citoyenneté à l’école. Je préfère d’ailleurs employer la terminologie d’éducation civique.

I.

Histoire de l’éducation civique à l’école

Il est permis de dater l’apparition de l’éducation civique à l’école sous la Troisième République, lorsque a été instaurée une « instruction morale et civique ». Cette matière n’était alors enseignée que dans les écoles primaires, essentiellement sur une base patriotique. Il existait un fonds commun et un consensus entre les écoles privées et publiques sur le type de morale enseignée. Ce principe a perduré jusqu’en 1940. Le régime de Vichy a ensuite fait tomber le terme « enseignement civique » et l’a remplacé par une « action morale », enseignée une heure par semaine, aussi bien dans les écoles primaires que dans les lycées.

En fait, la deuxième phase de construction de la citoyenneté à l’école a réellement débuté en 1945, date de naissance de l’instruction civique et morale. Parce qu’il est apparu nécessaire de refonder les valeurs de la République, il a été décidé d’enseigner désormais « l’instruction civique et morale » dans les écoles primaires et les lycées. L’absence d’une catégorie de professeurs prévue spécifiquement pour cet enseignement a posé problème, si bien que cette instruction a fini par être confiée à tous les professeurs. C’est probablement en partie à cause de cela que très vite, dès la fin des années 40, cet enseignement a eu tendance à se diluer. Ce n’est qu’en 1959 que le Ministre de l’Education de l’époque a décidé de confier l’enseignement de l’instruction civique et morale aux professeurs d’histoire-géographie.

Cet enseignement a toutefois été supprimé sous la Présidence de Georges Pompidou, lorsque l’instruction civique s’est retrouvée victime d’une double méfiance : celle du pouvoir face à des professeurs réputés d’opposition, mais également celle d’une part des enseignants face à une matière qui ne correspondait pas à l’idéologie post-68. La réforme Haby en 1975 l’a supprimée pour créer un enseignement d’initiation à la vie économique et sociale en collège.

Ce n’est qu’au début des années 80 que l’éducation civique est réapparue. Cette époque a été marquée par divers évènements, au premier rang desquels figurent, entre autres, la révélation politique et sociale du phénomène des banlieues, les premiers symptômes des difficultés d’intégration des jeunes issus de l’immigration avec la montée du Front National. Il en a résulté la - 15 -

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naissance d’une interrogation sur la définition des valeurs que le système éducatif se doit d’enseigner aux jeunes. Cette demande sociale s’est peu à peu transformée en demande politique de l’éducation, si bien que peu de temps après l’échec, en 1984, de la mise en place du service public laïc et unifié de l’éducation, Jean-Pierre Chevènement, alors Ministre de l’Education nationale, a réintroduit l’éducation civique à l’école et au collège. A raison d’une heure par semaine au collège, les élèves, sous la conduite de leurs professeurs d’histoire-géographie ou de français, y abordaient des thématiques classiques, allant de la Commune au rôle de l’Etat.

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Le débat sur la place de l’éducation civique s’est accentué au cours des années 90, lorsqu’un certain nombre de pédagogues ont estimé que cet enseignement, à la fois trop abstrait et trop institutionnel, patinait. En conséquence, en 1991, Lionel Jospin, en tant que Ministre de l’Education nationale, a pris l’initiative de mettre en place un groupe de réflexion ayant pour finalité de renouveler l’enseignement de l’éducation civique à l’école. Tout cela s’est opéré parallèlement à la rénovation - entre 1995 et 1999 - des programmes des collèges, ainsi qu’à la mise en évidence, à l’issue de l’important mouvement lycéen de 1998, du fait que les adolescents voulaient s’exprimer davantage. Au bout du compte, il en a résulté l’instauration de l’enseignement, au lycée, de l’éducation civique, juridique et sociale (ECJS), l’éducation civique restant elle enseignée dans les écoles et les collèges.

De ce premier point, il ressort que l’enseignement de l’éducation civique a fait l’objet de nombreuses hésitations. Cet enseignement, difficile à mettre en place, dépend de la manière dont sont conçus la citoyenneté et le rôle de l’école dans la société. A ce propos, il est intéressant de constater que la situation qui prévaut en 2005 est finalement assez proche de la situation d’après-guerre, puisque l’éducation civique est présente à tous les niveaux du système éducatif. L’éducation civique est d’ailleurs une nébuleuse assez complexe, qui nécessite que soit mise en œuvre une cohérence aussi bien verticale - de l’école primaire jusqu’au lycée - qu’horizontale - la dualité entre la vie scolaire et l’éducation civique est beaucoup plus prononcée en France qu’elle ne peut l’être dans les pays nordiques et anglo-saxons.

II. Vision de la mise en œuvre des programmes La définition de cette vision est la tâche d’inspection. Elle n’est pas aisée. 1. L’école primaire L’enseignement de l’éducation civique y est fondé sur l’apprentissage de la vie en communauté et la formation d’une personnalité - celle de l’élève - dans un environnement social. Au fur et à mesure des années, l’élève est aidé à s’ouvrir au-delà de l’école. Ainsi, lors du cycle terminal de l’école primaire, l’éducation à la vie commune s’accompagne de la transmission d’une première série de connaissance sur ce que sont les valeurs de la République et ses grandes institutions. De même, l’Europe et le monde commencent à être abordés. 2. Le collège Les programmes en vigueur sont longtemps restés les héritiers des programmes mis en œuvre dans les années 45. Ces programmes, tournés vers l’institutionnel, ont fini par être repensés. Plusieurs optiques ont été privilégiées.

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Dans un premier temps, il est apparu opportun de bâtir les connaissances des élèves autour d’un socle solide, celui des déclarations de droits. De même, il a semblé judicieux de concevoir des programmes qui concernent à la fois l’élève en tant que tel et le futur citoyen. C’est ainsi que les élèves de sixième abordent des thématiques telles que le sens de l’école ou la responsabilité vis-àvis de l’environnement et du patrimoine. Les élèves de cinquième se penchent sur l’égalité, les discriminations, la sécurité, la solidarité, ceux de quatrième sur le droit, la liberté, la justice et ceux de troisième sur la République, l’État, la démocratie et ses problèmes. Toujours dans le cadre de cette réorganisation des programmes d’instruction civique, il a été décidé de privilégier le concret, au travers notamment d’études de cas. Enfin, une épreuve d’éducation civique a été introduite au brevet. Au final, c’est la conception même de l’éducation civique qui a été renouvelée. Dans la réalité, après une période de discussions tout à fait normale dès lors qu’une nouveauté a été instituée, les nouveaux programmes d’éducation civique ont été relativement bien accueillis par les élèves et les enseignants.

Malgré cela, des problèmes subsistent. Ainsi, il existe une grande hétérogénéité d’enseignement entre les établissements, voire entre les enseignants, dont une minorité utilise les horaires dévolus à l’éducation civique pour boucler d’autres programmes. Par ailleurs, le programme d’éducation civique tend à vieillir. Ainsi, ses inspirations initiales, sa volonté de marquer une progression de la sixième à la troisième et son parti-pris de favoriser la discussion et la réflexion ont tendance à s’ossifier. Un rajeunissement de ces programmes est donc nécessaire. Il s’avère également que l’épreuve inscrite au brevet est trop ambitieuse pour les élèves. Enfin, le manque de liaison de ce programme avec la vie scolaire a été mis en évidence. Cela n’a rien d’étonnant, car il n’a jamais été aisé d’unir la théorie - l’enseignement - et la pratique - la vie scolaire. L’éducation civique doit pourtant déboucher sur l’acquisition de savoirs, de valeurs et de modes comportementaux. Or les chefs d’établissement sont bien souvent davantage attachés aux comportements qu’au reste, tandis que beaucoup d’enseignants considèrent que la vie scolaire ne les concerne pas. 3. Le lycée L’ECJS a été mise en place en 1998. C’est à peu près à la même époque que le législateur a contraint l’Education nationale à assurer un enseignement relatif aux principes généraux de la Défense, ainsi qu’un enseignement relatif aux principes fondamentaux de la nationalité française.

La finalité de l’ECJS vise à permettre aux élèves de maîtriser l’argumentation politique. Cette idée ambitieuse est profondément juste et intéressante. Elle est également lourde à traduire dans les faits, si bien qu’en une année, il n’est bien souvent possible aux enseignants que de monter deux ou trois débats. Le programme fait pourtant preuve d’une grande souplesse, puisqu’il est essentiellement composé de notions et de thèmes - vie sociale, travail, droits du citoyen, problèmes de la famille en seconde, vie et affaires politiques en première, grands problèmes contemporains en terminale.

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Il n’est pas facile d’évaluer un enseignement relativement neuf. Généralement bien accueilli par les élèves, cet enseignement fait débat chez les enseignants, une partie d’entre eux n’y voyant qu’un gâchis de moyens et un dédoublement avec certaines autres matières. De fait, ceux-là considèrent que l’introduction de l’ECJS ne correspond à rien, si bien qu’au final parfois les chefs d’établissements finissent par confier cet enseignement aux nouveaux professeurs.

Par ailleurs, le problème de l’hétérogénéité de l’éducation civique est encore plus fort au lycée qu’au collège. En effet, l’ECJS ne compte pas au baccalauréat et est rarement évaluée par l’inspection. Il en résulte un manque certain de pilotage, et cet enseignement finit par ne plus reposer que sur le volontariat et la conviction des professeurs.

Enfin, parmi les autres difficultés rencontrées, il convient de noter que l’éducation civique est un enseignement exigeant, car il suppose beaucoup de continuité tout au long d’une année et voudrait reposer sur l’interdisciplinarité, ce qui est difficile à mettre en œuvre. Enfin, apparue en même temps que les TPE ou le développement durable, l’ECJS a fini par se retrouver délaissée, l’Education nationale ayant souvent beaucoup de mal à mener de front plusieurs innovations.

III. Conclusions L’enseignement de l’éducation civique doit s’enraciner dans une légitimité. A l’heure actuelle, il existe un problème de cohérence dans la conception d’ensemble de cet enseignement, qui s’est stratifié au cours de ces dernières années sans que personne n’ait vraiment jamais songé à penser la cohérence entre le primaire, le collège et le lycée. De fait, il existe trop de disparités et trop de différences.

De même, l’éducation civique manque à la fois d’un pilotage national et d’un pilotage académique. Les réussites actuelles reposent sur la rencontre du volontarisme d’une équipe de Direction, de la motivation d’une équipe d’enseignants et du soutien d’inspecteurs, ce qui est encore trop aléatoire. De la salle Quelles dispositions vous semble-t-il nécessaire de prendre afin de remédier au problème du manque de formation des professeurs ? Alain BERGOUGNIOUX Le problème de la formation est très important. Il est de plusieurs ordres.

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Il est faux de dire qu’un professeur d’histoire-géographie n’est pas du tout formé à l’éducation civique. Après tout, l’autoformation n’est pas interdite, et il n’est pas ubuesque de penser que les professeurs lisent parfois des ouvrages de référence en dehors de leur temps de travail. Finalement, le seul point difficile a trait aux questions de droit. En la matière, il est indéniable qu’un effort doit être accompli. Toutefois, cet effort ne saurait rebuter un enseignant normalement constitué.

La formation initiale dispensée dans les IUFM constitue un autre problème. L’éducation civique devrait pouvoir figurer au CAPES, qu’elle que soit la discipline, notamment à l’oral. Il s’agit tout de même d’un thème défini comme une priorité nationale.

Enfin, pour ce qui concerne la formation continue, les moyens sont limités et l’appétence des professeurs n’est pas toujours développée. Ainsi, de nombreux stages ne se tiennent pas faute de participants. De la salle Une formation initiale existe à l’IUFM de Paris. Elle fait l’objet d’une très forte demande de la part des étudiants, probablement parce que l’éducation civique est abordée au CAPES d’histoire-géographie. Alain BERGOUGNIOUX Je n’en continue pas moins de penser que cette formation serait plus efficace si toutes les équipes éducatives étaient convaincues de sa pertinence. De la salle L’éducation civique pâtit de la diminution des horaires d’histoire-géographie. L’avenir de cette matière est d’ailleurs très incertain. Alain BERGOUGNIOUX Il n’y a pas lieu d’être inquiet. L’enseignement de l’histoire-géographie ne risque pas de disparaître. En revanche, il est vrai qu’un problème se pose au niveau du brevet. La nation a autant besoin que sa jeunesse maîtrise les sciences que l’histoire-géographie. De fait, l’équilibre de la nouvelle épreuve sera difficile à trouver. La question est ouverte. L’introduction de la note de comportement doit nous donner l’occasion de réfléchir à ce qu’est réellement l’éducation civique au collège. Je n’imagine pas que l’éducation civique, présentée comme une priorité de la nation, puisse disparaître.

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De la salle Il existe, dans les archives départementales, une grande quantité de documents qui permettraient d’enrichir l’enseignement de l’éducation civique dans un cadre interdisciplinaire. Encore faudrait-il que les services éducatifs des archives soient associés à cette réflexion. Alain BERGOUGNIOUX Les partenariats revêtent une dimension importante. Le rôle des services publics est primordial. Nous avons besoin de faire travailler ensemble les enseignants, les disciplines et les partenaires du système éducatif.

Nous essayons de faire vivre les services éducatifs. Ils ont un rôle important à jouer, notamment en histoire-géographie, et ce à plusieurs niveaux du programme. En revanche, leur rôle apparaît plus limité pour ce qui concerne l’éducation civique.

Simplement, le développement de tels partenariats demande du temps. Le travail doit être conçu autour de séquences pédagogiques ayant une véritable finalité. De la salle L’avenir des professeurs mis à la disposition des services éducatifs des archives s’annonce difficile. Alain BERGOUGNIOUX Je comprends votre constat. Les moyens ont diminué. Il y a une bataille à mener pour les maintenir. Nous sommes très attachés à cela. Ces questions dépassent le cadre des inspecteurs.

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Concevoir les archives comme porteuses de valeurs citoyennes Caroline PIKETTY Conservateur aux archives nationales

Je sollicite votre indulgence car je n’ai pas l’habitude de m’adresser à un public aussi diversifié que vous l’êtes. La question à laquelle il m’a été demandé de répondre mériterait une longue réflexion. Or je ne possède qu’une expérience ponctuelle du monde des archives. Il m’est donc impossible de dresser un tableau aussi vaste que vous le souhaiteriez. En 1992, au service historique de l’armée de terre, il m’a été demandé de préparer l’ouverture des archives de la guerre d’Algérie. Ces archives étaient très pénibles. Au bout de cinq ans, j’ai donc demandé à changer d’affectation. Je me suis retrouvée aux archives nationales, où il m’a été demandé de terminer un travail sur les archives relatives à la présidence de Georges Pompidou. Ce travail m’a davantage passionné que l’inventaire des archives relatives à la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, si bien que j’ai fini par accepter le poste qui m’a été proposé au sein de la mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France. J’ai eu la grande chance de travailler en permanence avec des historiens. J’ai participé à l’accueil des familles spoliées. Il m’a fallu apprendre à gérer cela. Depuis l’an dernier, je suis l’une des responsables du département des publics des archives nationales. Ce poste étant très exposé, j’ai demandé - et obtenu - de pouvoir créer le bureau des recherches administratives et familiales, de manière à ce qu’un accueil approprié et personnel soit réservé au public.

I.

Les archives des spoliations et des naturalisations

1. Points communs Les archives nationales sont les archives centrales de l’Etat. Les fonds relatifs aux spoliations et aux naturalisations sont gigantesques par leur volume. Cette masse vertigineuse constitue d’ailleurs le premier point commun à ces deux thématiques. Ainsi, je n’aurais jamais imaginé que les archives nationales de naturalisation puissent représenter près de deux kilomètres de dossiers individuels pour la période s’étendant du début du 19e siècle jusqu’en 1930. Sous ces combles, il est impossible de ne pas ressentir un sentiment de fierté. L’on y ressent avec force le fait que la France a été, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne l’est plus, un pays extraordinaire. Il est bien évident qu’il n’est pas possible de ressentir un tel sentiment de fierté devant le kilomètre de dossiers relatifs aux spoliations dont ont été victimes les Juifs de France. Plus de 60 000 dossiers « d’aryanisation économique » sont répertoriés. Il est impossible de s’habituer à la fréquentation de ce dépôt. L’on s’y interroge sur la qualité de fonctionnaire. Il arrive que nous n’arrivions pas à trouver un dossier qui nous est demandé. Cela signifie que la personne recherchée n’était pas propriétaire de son bien.

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Les archives relatives aux naturalisations et aux spoliations ont également pour point commun d’être extrêmement fragiles. Il est pourtant crucial de conserver en bon état ces documents très précieux. Les documents du 19e siècle ne sont pas tous de bonne qualité, plus particulièrement pour ce qui concerne les vingt dernières années. Les documents de la seconde guerre mondiale sont dans un état encore plus mauvais. D’importants projets de numérisation sont donc à l’étude. D’ailleurs, les travaux de la mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France ont conduit le gouvernement à édicter des recommandations. La première d’entre elles a eu trait à la préservation des archives. En effet, lors de leur utilisation, nous nous sommes aperçus que nous abîmions les papiers à longueur de journées. De fait, d’ici deux ans, le kilomètre de dossier aura été entièrement transféré sur microfilms. Ces deux types d’archives ont également la communicabilité pour point commun. Cette communicabilité suit la règle ordinaire - délai de 30 ans - instituée par la loi de 1979. Il existe toutefois des exceptions à cette règle. Ainsi, en 1998, année marquante - en raison du procès Papon - du point de vue de l’accès aux archives, le gouvernement a pris de nouvelles mesures quant à l’ouverture massive au public des archives de la seconde guerre mondiale. Tous les fonds conservés aux archives nationales étaient visés. C’est également en 1998 qu’il a été décidé, par la promulgation d’un arrêté, d’appliquer un délai de 60 ans à l’ouverture au public des dossiers de naturalisation. Les archives d’aryanisation économique sont très particulières. Il est presque permis de les qualifier d’archives vivantes. Le service des restitutions, créé lors de l’immédiat après-guerre et rattaché au Ministère des Finances, s’est lancé dans une entreprise extrêmement complexe, si bien que des lois étaient encore promulguées dans les années 50. La commission d’indemnisation des victimes de spoliations a été créée en 2001. Elle permet aux personnes qui considèrent qu’elles n’ont pas été suffisamment indemnisées d’entamer des requêtes. Plus de 13 000 requêtes ont d’ores et déjà été déposées. Les archives de naturalisation sont également vivantes. Les dossiers sont régulièrement rouverts par des personnes qui souhaitent obtenir la nationalité française. 2. Différences Les lieux de conservation des archives de spoliations et de déportations sont nombreux. Des sources indispensables sont notamment conservées à l’étranger - Allemagne, Israël. La plupart des centres d’archives sont publics, à l’exception notable et importante du Mémorial de la Shoah, qui ne l’est pas. En revanche, les fonds relatifs aux naturalisations sont principalement conservés aux archives nationales. Seuls existent quelques fonds complémentaires aux archives départementales. Il existe également une importance différence calendaire. Les dossiers de spoliation débutent en 1940. Ils ne sont jamais clos. En revanche, les dossiers de naturalisation aboutissent, sauf exceptions, dans les trois ou quatre années qui suivent leur ouverture. Les archives de spoliations reposent sur tous les supports possibles. Il existe un nombre considérable de fichiers de toutes natures, y compris des dossiers de rafles. Ces fichiers sont très pénibles à parcourir. Ils doivent être maniés avec précaution. Les archives de naturalisations n’offrent pas la même variété. Il n’existe que des dossiers individuels qui se présentent invariablement de la même manière.

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II. Description du public qui consulte les archives nationales Ce public est forcément particulier. Il est totalement étranger au monde très complexe des archives. La plupart du temps, si le travail est bien effectué, il ne se présente qu’à une seule reprise. Ce public se déplace en famille. Il est très rare que nous ayons face à nous une personne seule. Avant l’ouverture du bureau des recherches administratives et familiales, ces personnes étaient accueillies en public pour traiter de questions très personnelles. Fort heureusement, elles sont maintenant reçues dans un cadre privé. Le public qui fréquente les archives nationales évolue. En matière de spoliations, la plupart des familles se sont présenté entre 1998 et 2002. Depuis trois ans, cette vague de fréquentation s’était relativement atténuée, mais la commémoration du soixantième anniversaire de la libération des camps de concentration a fait se présenter à nous de nouvelles personnes. Le public qui consulte les archives de naturalisations évolue au gré de l’actualité. Son flux n’a cessé de croître depuis 2000, à tel point que nous risquons de faire face à des problèmes d’accueil. Il s’agit essentiellement d’un public d’origine kabyle. Le public des spoliations vient pour retrouver la trace de ses ancêtres. Nous devons donc faire preuve de prudence et d’écoute dans son accueil. Les familles algériennes rencontrent d’autres types de difficultés, qui ont notamment trait au fait qu’elles lisent parfois mal le français, si bien qu’il est embêtant de les laisser travailler seules dans leur coin avec des microfilms. Autant le public des spoliations rassemble toutes sortes de générations, autant le public des naturalisations - essentiellement d’origine algérienne - correspond à deux catégories bien distinctes : les jeunes âgés de 20 à 30 ans d’un côté, les adultes âgés de 40 à 50 ans d’un autre côté. Il convient d’ailleurs de préciser que les archives nationales ne sont pas habilitées à délivrer des attestations de naturalisation. En revanche, les questions de filialisation peuvent être résolues par le dossier de naturalisation. Ainsi, 20 % des familles algériennes qui viennent à notre rencontre trouvent un décret de naturalisation. Le bureau des recherches administratives et familiales s’est inspiré du bureau citoyen des archives départementales de l’Aude. En 2004, nous avons reçu plus de 550 personnes - à raison de deux après-midi par semaine -, dont 80 % pour des questions de naturalisation et 13 % pour des questions de spoliations et de déportations. De la salle Pouvons-nous faire appel à vous pour monter des ateliers sur les archives dans les départements ? Caroline PIKETTY Bien évidemment. Je vous accueillerai avec plaisir. Nous possédons une importante matière de travail. Nous avons déjà essayé d’intéresser une classe de troisième à la question des spoliations. Nous avons interrogé ces élèves sur le thème de l’indifférence. L’expérience s’est avérée très concluante. Il serait tout à fait possible - et moins rude - de renouveler cette expérience pour les naturalisations.

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S’approprier le patrimoine écrit, oral et figuré pour donner du sens à l’environnement citoyen Georges MOURADIAN Permanent de la CGT au Ministère de la Culture

Cette question de l’appropriation des archives se pose à l’école et dans d’autres lieux du mouvement social - entreprises, syndicats, associations et autres. Le public des archives s’est fortement diversifié en une génération. La généalogie est d’ailleurs la seule pratique culturelle de masse qui utilise les archives. Les archives sont de plus en plus source d’émotions. L’usage des archives ne vise pas seulement à accroître les connaissances. Il vise également à toucher la sensibilité. La mémoire citoyenne est de plus en plus portée sur le temps présent, voire sur l’histoire immédiate. La démarche d’appropriation des archives est une démarche militante qui porte en elle des revendications d’accès aux archives. Les archives constituent un patrimoine opaque, mal identifiable et difficile à s’approprier. Elles reposent sur des supports tellement divers qu’il en résulte autant de problèmes de conservation et d’analyse. C’est probablement de ce fait que sont nées les archives orales - archives créées du fait d’un manque de sources - et les archives figurées - création de collections factices à partir d’archives isolées. Le patrimoine des archives est frontalier à d’autres domaines patrimoniaux, mais il convient d’éviter la concurrence. Il est préférable de travailler sur un mode complémentaire. La collecte des archives privées pose problème en cela qu’elle est conditionnée par une démarche de partenariat. Le propriétaire des archives ne les communique que lorsqu’il comprend qu’il s’agit d’un patrimoine historique, mais alors, il demande à être associé à leur exploitation. Il existe des archives inventées qui n’apportent aucune connaissance. Ainsi, le Comité d’Entreprise de Renault Billancourt a été le premier à organiser des voyages collectifs en avion. Les souches des billets ont été conservées. Elles sont exposées de temps en temps, de même que divers objets de grève. Les usages de ces nouvelles archives entrent dans un cadre citoyen. L’usage citoyen de l’archive se divise en de multiples approches. Ainsi, à Roubaix, de nombreuses personnes venaient à notre rencontre pour constituer leurs dossiers de retraite. Nous avons mis un point d’honneur à ne jamais les renvoyer chez elles sans rien leur transmettre. De fait, lorsque nous ne trouvions aucun document susceptible de les aider, nous avions pris pour habitude de mettre au point un certificat de carence si bien rédigé que l’administration le prenait parfois pour le document originel recherché. De même, la communauté de Massey, qui regroupe les ouvriers de l’usine Massey Ferguson qui se sont battus contre la fermeture de leur usine dans les années 70, existait encore en 2000. Elle se

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réunissait chaque année aux archives du monde du travail. Des classes entières ont pu échanger et débattre avec ces ouvriers. Nous avons également organisé l’opération « Où travaillent nos parents ? » en compagnie de vingt Comités d’Entreprise de la France entière. Les vingt groupes ainsi constitués se sont réunis. Ces rencontres se sont avérées extrêmement intéressantes. Un travail d’exploitation des archives des grandes associations de solidarité - Secours populaire, Restaurants du cœur, Emmaüs, ATD quart-monde - a été mené dans le Nord de la France avec des élèves de terminale. L’objectif de cette démarche consistait à démontrer à ces jeunes que lorsque l’on veut s’engager sur le terrain de la solidarité, il existe pléthore d’associations complètement différentes, mais toutes très professionnelles. Enfin, nous avons mené un travail sur la résistance en Seine Saint-Denis. Du fait de la clandestinité de cette activité, nous ne disposions de quasiment aucune source écrite. Malgré cela, nous sommes parvenus à impliquer des groupes d’élèves en leur faisant poser des questions difficiles sur la crédibilité des récits qui leur étaient contés. Au final, il apparaît que l’appropriation militante des archives par des publics divers est possible. Sur de nombreuses opérations, nous sommes parvenus à faire se rencontrer des publics très différents. Pour autant, il reste difficile de concilier l’objectif de l’Education Nationale d’accorder une priorité aux dispositifs transversaux. De la salle J’ai beaucoup apprécié votre définition éclatée des archives. J’ai découvert, au Musée de l’éducation de Saint-ouen l’Aumône, qui ne rassemble pas des archives au sens strict du terme, des cahiers d’élèves reprenant des cours de morale. Il est assez bouleversant de constater tout ce que l’on peut faire écrire aux enfants. Georges MOURADIAN Votre exemple me renforce dans mon sentiment que tout document possède un intérêt.

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Restitution des ateliers par les participants

I.

Atelier 2 – Présentation des ateliers « Archives et citoyenneté » menés par les archives municipales de Dijon

Premier rapporteur Ces ateliers ont bénéficié de la participation d’un professeur détaché pour le service éducatif - à raison de deux heures supplémentaires - et d’une étudiante qui disposait de 500 heures de vacation par an pour faire une thèse. Ces moyens sont très restreints, donc les ateliers ont reposé pour une grande part sur du bénévolat. Une nouvelle municipalité - de gauche - a été élue à Dijon en 2001. L’adjointe aux affaires sociales a fait appel aux archives municipales pour obtenir, à l’occasion de la Journée des droits de l’enfant de l’Unesco, des documents sur les enfants. Dans un cadre différent du service éducatif, cette manifestation a permis de toucher des enfants, mais également des adultes, en compagnie desquels ont été organisés des débats sur la citoyenneté. Les ateliers se déroulent le mercredi matin pour les collégiens - essentiellement en classes de cinquième et de troisième - et le mercredi après-midi, dans les centres de loisirs, pour les primaires. Chaque atelier, d’une durée de 1h30, a bénéficié d’une présence moyenne de cinquante enfants. Des contacts directs, sans transiter par le rectorat ou par l’inspection académique, ont été pris avec les enseignants. Ce travail de relation et de communication est très important. Des contacts ont également été pris avec l’office central de coopération culturelle à l’école, un organisme qui existe dans tous les départements. Cet office a conseillé de faire animer les ateliers par des élus adultes et des élus enfants - il existe un conseil municipal d’enfants à Dijon depuis 2002. Second rapporteur La mise en œuvre de ce travail nous est apparue très intéressante. Les archives municipales ont proposé de réaliser une visite de l’Hôtel de ville de Dijon, un lieu citoyen par excellence, mais trop méconnu par les jeunes. Les archives se trouvent dans une aile de cet Hôtel de ville. Leur visite a permis de montrer aux enfants qu’il s’agissait d’un lieu de conservation de la mémoire des citoyens d’hier et d’aujourd'hui. Les groupes d’enfants se sont ensuite rendus dans la salle du conseil municipal, dans la salle des mariages, au service de l’état civil et au service des élections. C’est en ce dernier lieu que les conditions pour devenir électeur ou élu leur ont été exposées. Parce que les enfants ont une représentation très abstraite de ce qu’est un élu, les archives municipales de Dijon ont senti l’intérêt d’enrichir cette visite par la présence d’élus. Les registres de délibération du conseil municipal leur ont été présentés.

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Un jeu de rôle s’est installé entre les enfants et les acteurs du conseil municipal - élus, journalistes, public. Chacun a pu bénéficier d’un premier apprentissage de la prise de parole en public. De même, le respect des formes du débat a été inculqué aux enfants. Les accompagnateurs ont beaucoup insisté sur le respect de la parole de l’autre - la réalité des empoignades entre élus n’a pas pour autant été éludée -, ainsi que sur le nécessaire respect, y compris par ceux qui n’y étaient pas favorables, des lois adoptées à la majorité. Des urnes et des isoloirs ont été installés dans une salle annexe du conseil municipal afin de décrire les conditions d’un vote démocratique. D’une manière générale, les enfants souffraient d’un manque certain de connaissances. Ainsi, lorsqu’une élue du conseil municipal s’est présentée à eux revêtue de son écharpe tricolore, une enfant l’a prise pour Miss France. Au final, l’objectif de leur permettre de partager une mémoire commune et d’appréhender les valeurs de la République a tout de même été atteint.

II. Atelier 4 - 1914-1918 – « Photos de guerre » : compte-rendu d’un atelier mené avec des classes autour d’une exposition et d’une lecture par un comédien aux archives départementales des Côtes d’Armor Rapporteur Un projet des archives des Côtes d’Armor centré, à partir de photographies issues de deux fonds, sur la première guerre mondiale nous a été présenté. Ces photographies ont donné lieu à l’organisation d’une exposition, ainsi qu’à la création, par le site académique de Rennes, d’une base de données que les enseignants peuvent librement exploiter. Cette manifestation très intéressante a été sujette à de nombreux débats entre les participants à l’atelier. Nous avons notamment discuté du manque de coordination entre les différentes expériences menées par des archivistes. De fait, nous avons évoqué le projet de mise en œuvre d’un site commun. Pour en revenir à l’exposition, il convient de noter que les enseignants ont eu à leur disposition quarante copies d’élèves rédigées en 1918. De la sorte, il leur a été permis d’apprécier de quelle manière les enfants de l’époque avaient appréhendé la guerre. Tout cela a débouché sur une lecture faite par un artiste. Cette lecture avait pour but de donner une dimension émotionnelle aux documents d’archives. Les élèves ont été très touchés. Enfin, l’idée a été émise, en atelier, de demander aux élèves d’apporter en classe différents objets que possèdent leurs familles afin de monter une exposition et de démontrer que la source d’archives est à la fois publique et privée.

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III. Atelier 1 – La généalogie au collège : un exemple à partir de l’expérience d’un enseignant de collège dans l’Académie de Versailles Rapporteur Un atelier de généalogie a été créé en septembre 1996 dans un collège de Cormeilles en Parisis, dans le Val d’Oise. Depuis 1997, cet atelier bénéficie du soutien du rectorat de l’académie de Versailles. Il accueille une trentaine d’élèves, tous volontaires - avec accord écrit des familles -, durant les pauses déjeuners du lundi et du vendredi. Un ou deux membres d’associations généalogiques, mais également d’autres professeurs que le seul professeur responsable de l’atelier, interviennent durant la plupart des séances. Le premier objectif de cet atelier consiste à permettre aux élèves de retrouver leurs ancêtres et de connaître leur histoire familiale. Ce travail s’effectue sur quatre générations. Les questions des enfants adoptés, des familles recomposées et des enfants issus de l’immigration ne sont pas éludées. Cet atelier est soumis à un problème pratique de recherche des actes d’état civil, notamment ceux délivrés à l’étranger. Cet atelier vise également à étudier la population de la ville de Cormeilles en Parisis au 20e siècle. Une étude a été réalisée sur la base du recensement de 1906, premier recensement à tenir compte du lieu de naissance des habitants. Enfin, le dernier objectif de cet atelier consiste à communiquer sur les recherches accomplies via les expositions préparées par l’atelier au collège ou pour les manifestations auxquelles il participe et via l’édition d’un livre. Le travail s’est déroulé en deux temps : un travail individualisé - chaque élève interroge sa famille et apporte ses connaissances personnelles -, puis un travail institutionnel - demande d’actes d’état civil aux mairies, organisation de sorties aux archives départementales de Cergy. Cet atelier rencontre un grand succès, davantage auprès des filles que des garçons. Les élèves qui le fréquentent proviennent de classes et de niveaux scolaires très divers. L’étude démographique a permis de comprendre d’où provenaient les familles de Cormeilles en Parisis. Parallèlement à cette étude, il a été demandé aux élèves de raconter la vie d’un de leurs ancêtres, de mettre en avant la transmission ou de raconter de quelle manière ils avaient mené leurs recherches. Au final, la généalogie a été vécue comme une véritable source d’épanouissement. Un élève ne pourra se construire comme citoyen que s’il se sent à l’aise dans sa propre histoire.

IV. Atelier 3 – Archives et formation initiale des enseignants Rapporteur Nous avons d’abord souligné le fait que le travail avec les Archives concerne tout autant la formation initiale que la formation continue des enseignants

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Dans le cadre de la formation continue, le thème des archives n’est pas reconnu comme un axe essentiel il importe donc de faire appel à des tournures indirectes pour offrir cette formation. Une expérience menée sur six séances avec des PE2 travaillant dans une classe de CM2 en Zep a été relatée aux participants de l’atelier. Dans le cadre de ce module, intitulé « patrimoine, citoyenneté. » une visite aux Archives nationales a été organisée. Elle a marqué émotionnellement les élèves comme les stagiaires et a suscité de nombreuses questions. Les PE2 ont préparé les séances qui précédaient la visite puis ils ont dû l’exploiter. Les professeurs étaient présents pour analyser l’approche des jeunes enseignants et faire le bilan des acquisitions des élèves. Nous nous sommes demandé pourquoi les stagiaires avaient opté pour ce module de formation. Il s’est avéré que les termes de ZEP et de citoyenneté les avaient autant attirés que les termes de patrimoine et d’archive. Enfin, il convient de noter que lorsqu’ils ont achevé leur module de formation, tous les PE2 ont manifesté le désir de retourner aux archives. Cette expérience a suscité un débat pour savoir s’il était préférable d’organiser une visite aux Archives départementales avant toute visite aux Archives nationales. Le rôle fondateur des Archives nationales a été réaffirmé. L’expérience a également permis de confirmer l’importance de maîtriser suffisamment les connaissances historiques pour pouvoir entreprendre un travail aux Archives. De fait, un tour de table des pratiques en vigueur dans les régions représentées en matière de formation initiale et de formation continue a été effectué. Il s’est avéré que les situations étaient très variables.. Certains collègues n’avaient aucun contact avec les IUFM. Ainsi, dans le Calvados, la seule formation passe par les documentalistes. En revanche, dans les Yvelines, un lien étroit s’est développé dans l’enseignement de premier et du second degré. De même, à Nice, des expositions tournent dans tout le département. . La présentation des différentes actions menées dans les régions a montré une très grande richesse de production qu’il faudrait faire connaître davantage

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