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February 21, 2018 | Author: Anonymous | Category: N/A
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Présentation du texte « Notes historiques sur le calcul des probabilités » de Georg Cantor suivie de la traduction en français Anne-Marie Décaillot1

Une évocation de la vie et des travaux de Georg Cantor avant 1873 ne peut passer sous silence les années d’études qui ont conduit le mathématicien de Zurich à Berlin et à Göttingen. De 1863 à 1866, il fréquente à l’Université Friedrich-Wilhelm de Berlin les cours des mathématiciens Karl Weierstrass, Ernst Kummer et Leopold Kronecker, du philosophe Adolf Trendelenburg, tandis qu’à Göttingen il se familiarise avec les cours du physicien Wilhelm Weber et du philosophe physiologiste Rudolf Hermann Lotze, entre autres. L’année 1867 est marquée par la soutenance de sa dissertation doctorale à l’Université de Berlin. C’est dans sa troisième thèse que l’on trouve en particulier l’affirmation fondamentale : « In re mathematica ars proponendi questionem pluris facienda est quam solvendi »2. En 1869, une possibilité de carrière universitaire s’ouvre pour Cantor à l’Université de Halle, en remplacement de Hermann Schwarz promu à Zurich. Sur la proposition du professeur Eduard Heine, connu pour ses travaux concernant la théorie des fonctions,

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Laboratoire REHSEIS – UMR 7596 – Université Paris 7 - Laboratoire MAP 5 - UMR 8145 Université Paris 5 2 « En mathématiques, la manière de poser la question est plus importante que la façon de la résoudre » [Cantor 1932, p. 31].

2 Cantor est appelé à Halle où il est habilité : l’une de ses thèses porte sur la théorie des nombres, l’autre sur la philosophie de Spinoza, avec laquelle le mathématicien s’est familiarisé depuis les cours de Trendelenburg. Cantor devient dès lors Privatdozent (assistant non-titulaire appointé par les étudiants) à l’Université de Halle, position précaire qui se prolonge jusqu’en 1872, où il est nommé professeur « extraordinaire » (non-titulaire). Il lui faudra attendre 1879 pour être promu professeur « ordinaire », c’est-à-dire titulaire. Toute la carrière de Cantor se déroulera à Halle. Heine reconnaît rapidement en Cantor un mathématicien d’exception, qu’il oriente de 1869 à 1873 vers la théorie des séries trigonométriques et des séries de Fourier. Les travaux de Peter Gustav (Lejeune-) Dirichlet en 1829 ont mis en évidence les conditions de convergence de la série de Fourier d’une fonction f et celles de représentation de f par sa série de Fourier. Cantor est amené en 1870 à formuler le théorème d’unicité selon lequel, si la somme d’une série trigonométrique est nulle en tout point réel, cette série a ses coefficients nuls. Dès 1871, Cantor va affaiblir les hypothèses de son théorème d’unicité en montrant qu’il demeure valable si la série trigonométrique est soit divergente, soit de somme non nulle pour un ensemble fini de valeurs de la variable. Un an plus tard, une première notion topologique apparaît : un ensemble de nombres réels P étant donné, Cantor introduit la notion d’ensemble dérivé P’ constitué des points limites (points d’accumulation) de P ; puis la suite des dérivés successifs P’, P”, P’” etc. ; enfin la notion d’ensemble de nème espèce si P(n) est fini (ce qui entraîne que P(n+1) est vide). Le théorème d’unicité demeure valable si la somme de la série trigonométrique est nulle dans ]0, 2�[ sauf aux points d’un ensemble P de nème espèce. Au cours de ces travaux, Cantor est conduit à définir les nombres réels à l’aide des suites « fondamentales » (suites de Cauchy) de rationnels (les travaux de Charles Méray en 1869 sur ce thème lui semblent inconnus). C’est donc nanti d’une liste de résultats importants, publiés pour l’essentiel dans le Journal für die reine und angewandte Mathematik et dans les Mathematische Annalen, que Cantor participe en 1873 à la session de l’Association de la recherche scientifique à Halle. Nous pouvons y voir une des premières manifestations de l’intérêt de Cantor, qui ne se démentira pas, pour la vie associative. Il œuvrera avec des mathématiciens comme Alfred Clebsch, Emil Lampe, mais aussi Felix Klein, David Hilbert, Hermann Minkowski, pour que la Deutsche Mathematiker-Vereinigung (DMV) voie le jour en septembre 1890. La remarquable contribution de Cantor à cette création sera reconnue et il deviendra le président de la DMV jusqu’en 1893. Le contenu de l’intervention de Cantor qui va suivre est tout à fait exceptionnel. Nous ne disposons en effet d’aucun texte du mathématicien allemand consacré au calcul des probabilités, à l’exception des notes historiques présentées ici. Elles sont l’expression

3 d’un « optimisme joyeux », selon les éditeurs des œuvres de Cantor en 1932, marquant la confiance de l’auteur en la puissance « de la saine raison humaine ». En ce sens l’influence de l’Essai philosophique sur les probabilités de Pierre-Simon de Laplace, et tout particulièrement du chapitre intitulé « Notice historique sur le calcul des probabilités », ne peut être ignorée ; le dernier paragraphe de l’Essai de Laplace est d’ailleurs repris par Cantor en guise de conclusion. Une deuxième caractéristique du texte de Cantor ne peut être occultée : il s’agit de sa date de publication (1873). Le contexte de crispation, qui caractérise les relations franco-allemandes marquées par le conflit de 1870-1871, est bien connu. Dans les années qui suivent la capitulation, la notion de « retard » de la science française est souvent évoquée par les savants français pour expliquer la défaite. En situant « le berceau du calcul des probabilités en France », en décrivant les apports historiques des savants français au développement de ce calcul, le texte de Cantor tend à un éloge de la science française, très inhabituel pour son temps. Le penchant de l’auteur pour une forme de coopération internationale pacifique des scientifiques s’y manifeste sans ambiguïté. Cette option favorable à une « Internationale » des mathématiciens doit être mise en relation avec l’action qu’il développera ultérieurement en faveur de l’établissement congrès internationaux de mathématiciens. Le premier congrès international de Zurich, en 1897, viendra couronner des efforts du mathématicien allemand. Les Notes historiques de Cantor constituent une recherche minutieuse des fondements conceptuels du calcul des probabilités, à travers son histoire. Si l’origine de ce calcul est indubitablement française, comme nous l’avons relevé, les apports internationaux dont il a bénéficié, en particulier ceux qui relèvent de la contribution de Gauss, sont soulignés. Petit hommage à la philosophie allemande : la nécessité de soumettre le fondement philosophique de ce calcul à un examen critique kantien est affirmée. En tout état de cause, ces Notes historiques sont représentatives de la sensibilité du mathématicien allemand, de sa culture multiforme, qui trouve son expression dans les nombreuses références dont ce texte est émaillé, ainsi que de la beauté de son style d’écriture.

Bibliographie BELNA Jean-Pierre [2000] Cantor, Paris : Les Belles Lettres, 2000. CANTOR Georg [1932] Gesammelte Abhandlungen mathematischen und philosophischen Inhalts, mit erläutern den Anmerkungen sowie mit Ergänzungen aus dem Briefwechsel

4 Cantor-Dedekind, herausgegeben von Ernst Zermelo und Adolf Fraenkel, Berlin : Springer, 1932. DAUBEN Joseph Warren [1979] Georg Cantor. His Mathematics and Philosophy of the Infinite, Cambridge (Mass.), London : Harvard Univ. Press, 1979. DUGAC Pierre [2003] Histoire de l’analyse. Autour de la notion de limite et de ses voisinages, Paris: Vuibert, 2003. LAPLACE Pierre-Simon (de) [1840] Essai philosophique sur les probabilités, Paris : Bachelier, 1840 ; Paris : Gauthier-Villars, 1921. MEUSNIER Norbert [1987] Jacques Bernoulli et l’Ars conjectandi, Rouen : IREM, 1987. [1992] Christian Huyghens et Jacques Bernoulli : la première partie de l’Ars conjectandi (1657-1713), Paris : CAMS, 1992. [2006] Nicolas, neveu exemplaire, Journ@l électronique d’histoire des probabilités et de la statistique, vol. 2 ( n°1), juin 2006 (https://www.jehps.net) PURKERT Walter, ILGAUDS Hans Joachim [1987] Georg Cantor, 1845-1918, Basel etc. : Birkhäuser, 1987.

Traduction (par A.M.Décaillot) Les notes 3-4-5 de bas de page et la remarque finale sont celles des éditeurs de [Cantor 1932]. Elles sont rédigées en italiques.

GEORG CANTOR NOTES HISTORIQUES SUR LE CALCUL DES PROBABILITÉS (Comptes-rendus de la session de l’Association de la recherche scientifique, Halle 1873, p. 34-42. in [ Cantor 1932, p. 357-367].)

Durant les quatre années où j’ai eu l’honneur d’être membre de l’Association de la recherche scientifique, l’occasion m’a souvent été donnée, au cours des conférences qui s’y sont tenues, de prendre connaissance de recherches qui utilisent, pour se développer, des concepts et méthodes plus ou moins mathématiques. Dans certains domaines de la science, la part utile, dynamique et souvent indispensable revient depuis longtemps aux mathématiques. L’astronomie se compose pour une bonne

5 moitié de théories analytiques, qui ont pour objet des états changeants de l’espace. En physique, d’une part, partout où l’on veut exprimer simplement, clairement, une loi trouvée par l’observation, se fait sentir le besoin de la formule algébrique ; d’autre part, lorsqu’on l’applique à de très grandes quantités de données physiques, la mathématique agit de manière véritablement créatrice et révèle des faits qui pour partie ont échappé à l’observation, pour partie ont un tissu si compliqué que l’expérience empirique, qui cherche à les confirmer a posteriori, serait difficilement parvenue à leur découverte de son propre mouvement. La chimie est devenue une science systématique, qui se développe avec une rapidité peu commune, depuis que l’on a pu se représenter la constitution des corps naturels, au travers de la découverte de ce que l’on nomme les « poids atomiques », par des rapports numériques déterminés. Dans les autres branches de la science également prévaut de plus en plus, à ce que j’en sais, pour partie l’influence des méthodes mathématiques, pour partie le besoin de les utiliser ; je me suis cru permis d’en tirer la conclusion qu’il ne manquerait pas d’intérêt, à côté des conférences qui, au cours de ces séances, englobent toutes les parties de la recherche, d’en avoir une où l’on considère sous des points de vue historiques une partie des mathématiques fructueuse pour la science, le calcul des probabilités. Le calcul des probabilités offre à la recherche historique un sujet agréable à traiter à bien des égards ; en ce qui concerne le seul siècle où son origine peut être recherchée, il n’est pas besoin de querelle, car tous les savants en sont d’accord, c’est le dix-septième; il apparaît si riche en grands penseurs et en découvertes de grande portée, que l’on serait enclin à le prendre pour le plus glorieux de tous les siècles. Les nations, qui se disputent constamment entre elles la possession de conquêtes intellectuelles, ne nous compliquent pas davantage la situation ; car dans ce cas, elles sont contraintes de voir le berceau du calcul des probabilités en France, où, vers le milieu du dix-septième siècle, les deux savants Fermat et Pascal, au cours d’un vif échange épistolaire concernant des questions mathématiques, sont tombés sur des problèmes dont la résolution rendait nécessaires les principes du calcul des probabilités ; et il est apparu, à la satisfaction de tous deux, qu’ils étaient parvenus indépendamment l’un de l’autre aux mêmes résultats. Tandis que les inventeurs simultanés du calcul différentiel et intégral, Isaac Newton et Gottfried Leibniz, se sont laissés aller à une querelle de priorité, qui, poursuivie de manière acharnée par leurs élèves et successeurs, a encore des effets sensibles de nos jours, et cherche à troubler le regard de l’historien - nous voyons les fondateurs du calcul des probabilités se réjouir paisiblement de leur découverte commune, peu préoccupés de l’avenir et de leurs droits sur celle-ci. Pierre Fermat (né à Beaumont de Lomagne près de Toulouse en 1601, mort à Toulouse [sic] en 1665) était conseiller au Parlement de cette ville et doit à cette qualité de s’être

6 fait un nom important comme juriste. Dans les deux domaines principaux des mathématiques, la géométrie et l’arithmétique, on lui doit les découvertes les plus importantes ; parmi celles-ci je voudrais seulement mentionner la méthode des tangentes, qui devait conduire dans son étude générale au calcul différentiel et intégral, ainsi que les théorèmes énoncés en théorie des nombres, dont les démonstrations ont demandé ultérieurement tant de peine fructueuse aux mathématiciens. Blaise Pascal (né à Clermont-Ferrand en 1623, mort à Paris en 1662) a vécu, sans occuper de charge publique, alternativement à Clermont, Rouen et Paris ; son ouvrage les Lettres provinciales, dirigé contre les leçons décadentes des Jésuites et encore très lu de nos jours en raison de son style exquis, de sa fine ironie et de son mode d’exposition aisé et spirituel, marquait une nouvelle époque dans la prose littéraire. Mais on doit bien admettre que la force véritable de Pascal réside dans ses travaux de mathématiques et de mécanique, dont malheureusement une théorie des sections coniques a été perdue ; en mémoire de celle-ci, nous voyons ce que l’on appelle le théorème de Pascal occuper la première place dans presque tous les exposés sur ce sujet. Pascal et Fermat sont donc les fondateurs du calcul des probabilités ; en cela leur accord ressort de manière particulièrement vive dans le passage suivant d’une lettre de Pascal à Fermat (du 29 juillet 1654) : « Je ne doute plus maintenant que je ne sois dans la vérité, après la rencontre admirable où je me trouve avec vous. Je vois bien que la vérité est la même à Toulouse et à Paris ». Nous avons maintenant connaissance d’une circonstance à laquelle peut être imputée la raison particulière de ces discussions. Un certain chevalier de Méré, homme d’esprit réputé, ne veut absolument pas reconnaître l’autorité des mathématiciens dans un problème concernant le jeu de dés ; il s’est mis dans la tête une autre solution et, étant persuadé de sa justesse, il accuse ouvertement les mathématiques de se contredire. Voilà ce dont il s’agit. Si l’on jette 4 fois un dé, on peut avec une chance avantageuse parier que l’on obtiendra au moins une fois un 6. Si l’on joue avec deux dés, il se trouve que l’on ne peut pas avantageusement supposer obtenir un double 6 en 24 lancés. Néanmoins dans le deuxième jeu, le nombre 24, rapporté à la totalité des 36 cas possibles, se comporte comme 4 vis-à-vis de 6, c’est-à-dire comme les nombres correspondants dans le premier jeu ; et ceci ne paraissait pas clair au chevalier3. Pascal en fait le récit à Fermat de manière vivante, comme suit :

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Les deux probabilités, que le chevalier de Méré identifie de manière erronée, sont en fait distinctes d’après les règles du calcul des probabilités. On a précisément w1 = 1 - (5/6)4 = 0,518 > 1/2 et w2 = 1 - (35/36)24 = 0,492 < 1/2

7 « Je n’ai pas le temps de vous envoyer la démonstration d’une difficulté qui étonnait fort M. de Méré ; car il est très bon esprit, mais il n’est pas géomètre. C’est comme vous savez un grand défaut, et même il ne comprend pas qu’une ligne mathématique soit divisible à l’infini et croit fort bien entendre qu’elle est composée de points en nombre infini, et jamais je n’ai pu l’en tirer ; si vous le pouviez faire on le rendrait parfait »4; et après avoir esquissé la question litigieuse, il poursuit : « voilà quel était son grand scandale, qui lui faisait dire hautement que les propositions n’étaient pas constantes et que l’Arithmétique se démentait. » On peut présenter, à mon sens, le chevalier de Méré comme un exemple nous mettant en garde contre tous les adversaires de la recherche exacte, et il en existe de tout temps et en tout lieu ; il peut tout aussi bien leur arriver que, à l’endroit précis où ils cherchent à porter un coup mortel à la science, se mette à fleurir rapidement devant leurs yeux un nouveau rameau de cette dernière, éventuellement plus beau et plus prometteur que les précédents - comme il en est du calcul des probabilités devant les yeux du chevalier de Méré5. Nous voyons ainsi, au cours de leurs échanges épistolaires, Pascal et Fermat jeter les fondements de la science à venir, poser puis résoudre des problèmes divers, parfois complexes, liés à celle-ci ; mais ils ne s’expliquent pour ainsi dire pas sur les principes qu’ils suivent, et qu’il faut en quelque sorte lire entre les lignes ; on doit donc accorder une considération particulièrement élevée au premier exposé systématique et justificatif de ces derniers. Près de trois ans plus tard, c’est Huygens qui entreprit de combler cette lacune. En supplément au Exercitationum mathematicarum libri quinque de [Van] Schooten parut son Tractatus de ratiociniis in ludo aleae. C’est là que sont développés

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On peut toutefois très bien se représenter une droite comme la totalité de ses points, comme un « ensemble » au sens de Cantor ; ses « parties » ne sont alors pas seulement constituées de ces points mêmes, mais encore d’« ensembles de points », parmi lesquels se trouvent bien sûr les ensembles formés d’un seul point. C’est seulement la distinction rigoureuse entre un ensemble formé d’un seul élément et cet élément lui-même, qui permet de retenir le principe selon lequel chaque « partie » doit être « de même nature » que le tout. 5 La remarque finale de Cantor concernant ce chevalier de Méré pourrait s’appliquer, presque à plus forte raison, au destin de la théorie des ensembles et de ses détracteurs : prévision remarquable en un temps où le futur pionnier avait encore à peine commencé son œuvre propre. Son premier travail III 1 sur la théorie des ensembles parut seulement en 1873. La présente remarque caractérise de manière appropriée le destin de toute orientation scientifique réactionnaire et demeure continuellement d’actualité. L’article III 1 intitulé «Über eine Eigenschaft des Inbegriffes aller reellen algebraischen Zahlen » (Sur une propriété de l’ensemble de tous les nombres algébriques réels) [Cantor 1932, p. 115-118], est paru en fait en 1874 dans le Journal für die reine und angewandte Mathematik.

8 les principes fondamentaux du calcul des probabilités, bien sûr pas encore sous la forme la plus simple ; l’auteur les applique principalement aux jeux utilisant des dés ; il se réfère aux travaux de ses prédécesseurs, tout en étant contraint de reprendre presque tout depuis le début, puisqu’aucun ne s’était expliqué sur ses méthodes. Dans l’introduction aux œuvres de Huygens, il est écrit : « Sciendum vero, quod jam pridem inter praestantissimos tota Gallia geometras calculus hic agitatus fuerit, ne quis indebitam mihi primae inventionis gloriam hac in re tribuat. Caeterum illi, dificillimis quibusque quaestionibus se invicem exercere soliti, methodum suam quisque occultam retinuere, adeo ut a primis elementis universam hanc materiam evolvere mihi necesse fuerit. »6 Parmi les plus anciens documents du calcul des probabilités, on compte aussi une lettre du philosophe Benedictus [sic] de Spinoza d’Amsterdam (né à Amsterdam en 1632, mort à La Haye en 1677). Au cours de son séjour solitaire dans la campagne de Voorburg, il résout une question d’arithmétique que lui a posée un ami et il lui ème communique sa solution. La lettre (la 43 dans l’édition Bruder des œuvres de er Spinoza) est datée du 1 octobre 1666 ; si nous examinons de plus près son contenu, nous y trouvons brièvement inclus, avec la rigueur conceptuelle presque inaccessible propre à ce philosophe, certains principes fondamentaux du calcul des probabilités. Je dois laisser aux spécialistes le soin de décider si Spinoza était au courant de l’échange épistolaire entre Pascal et Fermat, ou s’il avait connaissance du Traité de Huygens, ou s’il était parvenu indépendamment de tous ses prédécesseurs à ses propres résultats. Si l’on veut caractériser l’essence du calcul des probabilités d’une manière tout à la fois simple et générale, on doit partir du principe selon lequel la probabilité mathématique de réalisation d’un événement attendu est mesurée par une fraction simple ; son dénominateur indique le nombre de tous les cas imaginables, aussi bien favorables que défavorables, qui peuvent survenir, tandis que son numérateur n’indique que le nombre de cas favorables à l’événement, en supposant que chacun des cas à prendre en considération, compte tenu de l’état de nos connaissances, est également possible.- Pour déterminer la probabilité d’un événement, on est donc renvoyé à un calcul du numérateur et du dénominateur de cette dernière, ce qui demande, selon la nature du problème en question, la mise en œuvre de différents moyens.

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« Il faut savoir que depuis un certain temps déjà ce calcul a été discuté parmi les plus éminents Géomètres de toute la France, ce pour qu’on ne m’en attribue pas la gloire indue de la première invention. Mais en fait, ceux-ci ont l’habitude de ses défier mutuellement avec très difficiles, chacun gardant sa méthode cachée, de telle sorte qu’il m’aura été nécessaire de développer l’ensemble de cette matière depuis les premiers éléments. » [Meusnier 1992, p. 4].

9 Jacques Bernoulli (né à Bâle en 1654, mort à Bâle en 1705) a, dans son ouvrage Ars conjectandi publié en 1713 après sa mort par son fils Nicolas7, cherché à conduire, de manière générale, le calcul des probabilités en référence aux problèmes que l’on peut imaginer dans les jeux de hasard. Il remarqua que ce calcul se ramenait à former toutes les configurations possibles d’éléments donnés, selon différents modes ; parmi les différents modes qui pouvaient être ainsi conçus, furent envisagés ceux qui se rencontraient le plus souvent : ils furent appelés permutations, combinaisons, variations, et traités en détail dans la deuxième partie de son livre. Dans la première partie de celuici, il reprit le Traité de Huygens, auquel il adjoignit ses propres remarques. La troisième partie est consacrée aux applications aux jeux de hasard. La quatrième partie de l’œuvre demeurée inachevée peut être considérée comme la plus importante de toutes ; nous voyons Bernoulli emprunter ici de toutes nouvelles voies, déterminantes pour tous les travaux ultérieurs, qui procurèrent à la jeune science une portée imprévue et le droit incontesté de pouvoir avoir un mot important à dire dans tous les domaines de la vie. Le titre en est : « Pars quarta, tradens usum et applicationem praecedentis doctrinae in civilibus, moralibus et oeconomicis »8. Les chapitres de cette partie portent les titres suivants : « Chap. I. Praeliminaria quaedam de certitudine, probabilitate, necessitate et contingentia rerum. » « Chap. II. De scientia et conjectura. De arte conjectandi. De argumentis conjecturarum. Axiomata quaedam generalia huc pertinentia. » « Chap. III. De variis argumentorum generibus, et quomodo eorum pondera aestimentur ad supputandas rerum probabilitates. » « Chap. IV. De duplici modo investigandi numeros casuum. Quid sentiendum de illo, qui instituitur per experimenta, problema singulare eam in rem propositum. »9 Lorsque nous voyons de nos jours toutes les sages administrations de l’État utiliser le calcul des probabilités comme un instrument sûr, digne de confiance, lorsque nous remarquons que les théories modernes de l’économie politique sont transformées et 7

Nicolas est en fait le neveu de Jacques (Jacob) Bernoulli. Sur le rôle de Nicolas Bernoulli dans la diffusion et le développement des travaux de son oncle Jacob, on peut consulter [Meusnier 2006]. 8 « Quatrième partie traitant de l’usage et de l’application de la doctrine précédente aux affaires civiles, morales et économiques. » [Meusnier 1987, p. 14]. 9 « Chapitre I. Préliminaires : La certitude, la probabilité, la nécessité, la contingence. » « Chapitre II. Science et conjecture. L’art de conjecturer. Les arguments des conjectures. Axiomes généraux touchant ces points. » « Chapitre III. Les diverses espèces d’arguments, et comment estimer leur poids pour supputer les probabilités. » « Chapitre IV. La double manière de rechercher les nombres de cas. Ce qu’il faut penser de celui qui est établi par des expériences. Problème particulier proposé à ce propos. » [Meusnier 1987, p. 14, 20, 28, 40].

10 épaulées par ce dernier, nous ne pouvons regarder sans une satisfaction certaine le livre du professeur de l’Université de Bâle, où le côté pratique du calcul des probabilités est présenté pour la première fois scientifiquement dans les chapitres indiqués ici. Je ne voudrais rattacher ici qu’un petit nombre de remarques à la partie mathématique de ce travail ; cette dernière culmine dans la proposition découverte par Bernoulli, qui établit la relation entre la probabilité dite a priori et la probabilité a posteriori. Beaucoup d’événements ont une structure composée de telle sorte qu’il n’est pas possible de donner leur probabilité directement, c’est-à-dire a priori ; Bernoulli nous apprend comment elle peut être trouvée a posteriori, c’est-à-dire par des observations. Il nous sera facile de comprendre cette proposition grâce à un exemple. Imaginons une urne qui contient des boules noires et blanches. Si l’on sait que le nombre de boules noires est p, le nombre de toutes les boules n, alors la probabilité w de tirer une boule noire est � w = , égale au nombre des cas favorables divisé par le nombre de tous les cas. �

Mais si nous imaginons que ce rapport des boules noires à toutes celles qui sont contenues dans l’urne est inconnu, nous effectuons alors à l’aveugle un nombre de tirages, que je désignerai par n’, chacun d’une boule qui sera remise à chaque fois dans l’urne ; supposons que p’ désigne le nombre de boules noires obtenues de cette façon ; le théorème de Bernoulli nous donne alors une relation déterminée entre la probabilité � �� w = et la fraction que l’on a trouvée ainsi expérimentalement. Voici la teneur du �

��

théorème : �� La probabilité que l’écart entre la fraction et la probabilité w soit moindre qu’une ��

grandeur arbitraire donnée peut s’approcher d’aussi près que l’on veut de la certitude, à la seule condition que le nombre n’ devienne suffisamment grand. Il en résulte alors que l’on peut substituer, de manière approchée avec une grande �� crédibilité, à la probabilité w d’un événement la fraction qui résulte de l’observation, ��

si seulement n’ est supposé suffisamment grand. Bernoulli attribuait avec raison à ce résultat une valeur d’autant plus grande qu’il avait dû vaincre des difficultés considérables pour l’établir. Sa démonstration contient, il est vrai, quelques restrictions, mais peut, comme je l’ai trouvé, être rendue parfaitement rigoureuse, sans en modifier le principe suivi ; elle a, sur celle fournie plus tard par Lagrange, le grand avantage de ne mettre en application que les moyens les plus élémentaires. On raconte que Bernoulli, bien que pénétré de l’importance de son travail, laissa dormir celui-ci pendant 20 ans parmi ses papiers. Dès l’année 1708 parut l’Essai d’analyse sur les jeux de hazard de Pierre Rémond de Montmort (né à Paris en 1678, mort à Paris en 1719), chanoine à Notre-Dame et membre de l’Académie de Paris. Bien que, d’après la publication, cette œuvre soit

11 antérieure à l’Ars conjectandi, qui ne parut qu’en 1713, elle n’est cependant pas indépendante de celle de Bernoulli. L’auteur dit en devoir l’inspiration à l’information qu’il a obtenue sur les recherches de Bernoulli, et nous pouvons nous exprimer sur le contenu du travail de Montmort, en ce sens qu’il est pour l’essentiel parallèle aux trois premières parties de l’Ars conjectandi. En 1711 (Phil. Trans.) parut un ouvrage de Moivre, De mensura sortis, auquel succéda en 1718 le traité Doctrine of chances. Abraham de Moivre, protestant (né à Vitry en Champagne en 1667, mort à Londres en 1754), quitta sa patrie après l’abolition de l’Édit de Nantes et vécut comme précepteur de mathématiques à Londres, où il fut admis à la Royal Society. Dans les travaux de Moivre, mieux que dans tous ceux qui précédaient sur le calcul des probabilités, nous voyons distingué l’essentiel de l’inessentiel; au regard du Traité de Huygens, ses méthodes apparaissent plus authentiques et, en comparaison avec l’Ars conjectandi, une analyse pour partie plus habile se fait sentir. En l’an 1740 parut à Londres un Treatise on the nature and laws of chance de Thomas Simpson ; c’est à ce même Simpson que nous devons de précieux enrichissements de la géométrie ; les règles dites de Simpson ont ouvert la voie à la théorie de l’approximation des quadratures. En suivant plus avant le développement du calcul des probabilités, nous entrons dans la période de la Révolution française ; l’orientation de la pensée qui prépara cet événement et qui est caractérisée par une critique impitoyable de l’état de la vie publique et familiale, tendant au renversement de l’existant, ne pouvait laisser inutilisé un instrument qui donne la capacité, comme aucun autre, de classer les éléments culturels les plus variés sous des points de vue généraux. Faire du calcul des probabilités un des sujets les plus importants de l’enseignement public compta aussi parmi les idées chères à cette époque des Lumières ; il est en effet le calcul de la saine raison humaine, dont seules les leçons peuvent détruire la mauvaise influence de l’espoir, de la peur et de toutes les émotions sur notre jugement, et ainsi tenir à l’écart du jugement, dans la vie civile, préjugé et superstition. Nous rencontrons ici principalement le Marquis de Condorcet, compté au nombre des Girondins (né à Ribemont en 1743, mort à la prison de Bourg la Reine en 1794), membre de l’Académie de Paris et ultérieurement secrétaire de cette dernière. Son Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix (Paris 1784) se distingue par son contenu philosophique, aussi bien que par la nouveauté des problèmes qui y sont traités.

12 Grâce au Marquis Pierre Simon de Laplace (Beaumont en Auge 1749 - Paris 1827), le calcul des probabilités parvient à une extraordinaire perfection dans ses composantes analytiques et dans ses applications à la vie. Laplace fut tout d’abord professeur de mathématiques à l’école militaire de sa ville natale, puis examinateur à Paris dans le corps de l’artillerie royale et, plus tard, professeur de mathématiques à l’École normale, tout en étant membre de l’Académie et du Bureau des Longitudes, ainsi que brièvement Ministre de l’Intérieur, sous le Consulat. Il a laissé deux ouvrages sur le calcul des probabilités ; il dédie le plus grand d’entre eux, la Théorie analytique des probabilités (Paris 1812), comme déjà son Traité de mécanique céleste antérieur, à Napoléon 1er ; on peut lire dans la dédicace : « Ce calcul délicat s’étend aux questions les plus importantes de la vie, qui ne sont, en effet, pour la plupart, que des problèmes de probabilité. Il doit, sous ce rapport, intéresser votre Majesté dont le génie sait si bien apprécier et si dignement encourager tout ce qui peut contribuer au progrès des lumières, et de la prospérité publique. » Le deuxième ouvrage est son Essai philosophique sur les probabilités (Paris 1814) ; nous voyons ici que Laplace n’est pas seulement maître dans l’art de traiter les questions analytiques les plus difficiles, mais encore qu’il lui est donné, comme à aucun autre, de traiter ces sujets de manière également claire dans la forme la plus achevée. C’est seulement grâce à Gauss, qui a particulièrement étudié et fondé un aspect de ses applications, que l’Allemagne participe de manière décisive à la formation du calcul des probabilités. Dès que des mesures de grandeurs sont effectuées dans la nature, les résultats de cellesci présentent toujours des erreurs, qui pour partie sont provoquées par le hasard, pour partie dépendent de circonstances extérieures perturbantes, mais pour partie aussi ont leur cause dans les illusions auxquelles nous sommes nous-même soumis au cours de l’observation, de par notre nature. Dès lors, pour réduire ces erreurs, qui sont possibles par excès ou par défaut, on est parvenu assez tôt à l’idée d’effectuer une seule et même mesure, ou, plus généralement, un seul et même système de mesures, plus fréquent que le nombre de grandeurs à déterminer ne l’exige, et dans les circonstances les plus diverses. Les résultats que l’on obtient de cette manière diffèrent certes tous du résultat exact pour les raisons énoncées, mais on peut admettre que, par une combinaison raisonnable de ceux-ci, on peut en tirer une valeur d’une nature telle que l’on doit lui attribuer une crédibilité plus grande qu’à chacune des mesures initiales en elle-même. En astronomie, où le problème abordé ici s’est présenté de manière particulièrement pressante, Laplace a ébauché une méthode qui conduit au but indiqué. Gauss appliqua pour la première fois à ce problème les principes du calcul des probabilités et trouva non seulement une résolution très simple de celui-ci, mais aussi la

13 solution, parmi toutes celles qui sont possibles, à laquelle revient la plus grande vraisemblance. La méthode d’approximation qu’il créa sous le nom de « méthode des moindres carrés » apparut pour la première fois comme une partie constituante de sa grande œuvre Theoria motus corporum coelestium (1809), qui est principalement consacrée à la position des orbites des planètes à partir de trois éléments orbitaux. Au cours des années 1821, 1823 et 1826, il consacra à cette théorie trois études universitaires : Theoria combinationis observationum erroribus minimis obnoxiae, Partie I et II, Supplementum theoriae combinationis observationum erroribus minimis obnoxiae. Je me suis donné pour tâche de n’aborder brièvement que ce qui apparaît décisif dans le développement du calcul des probabilités. Pour cette raison sont exclues de cette conférence beaucoup d’études et de sommes de travaux méritoires, qui ont contribué de manière remarquable aussi bien à l’approfondissement qu’à la diffusion de la science. Je ne peux cependant pas manquer de mentionner un élément qui appartient par essence à notre science : je veux parler de son fondement philosophique – les Français le nomment la métaphysique du calcul des probabilités. Toute science qui, comme la nôtre, repose sur des concepts et des principes, qui ne sont pas seulement formés spontanément et utilisés mathématiquement, mais qui prétendent aussi à une certaine validité effective afin que les résultats des calculs puissent être appliqués à la réalité, toute science de ce genre exige, suivant son contenu et son étendue, une critique philosophique. Dans la déduction des notions fondamentales, comme probabilité mathématique, cas possible, certitude et autres du même genre, les mathématiciens se limitent, il est vrai, dans la plupart des cas, à des explications conceptuelles synthétiques ; les conditions de leurs possibilités d’application, considérées comme allant de soi, ne sont souvent pas débattues plus avant. Pour prouver les théorèmes fondamentaux, par exemple le théorème concernant la probabilité d’événements composés, on traite un cas concret, comme celui d’une urne avec des boules noires et blanches ; et l’on prolonge parfois tacitement la justesse d’un tel théorème à des cas où sa validité est pour le moins douteuse. Nulle part ailleurs on ne trouve l’occasion de déployer l’art de l’analyse de manière à ce point éclatante ; mais nulle part on ne voit apparaître des cas aussi fréquents où le calcul subtilement conduit n’est d’aucune valeur, car il repose sur des hypothèses fausses. Le calcul des probabilités a donc toujours besoin, spécialement lorsqu’un nouveau champ d’application lui est ouvert, d’un débat où la validité de ses calculs peut être précisément établie. Cet aspect de la science, c’est-à-dire son aspect philosophique, nous le trouvons reconnu et cultivé par tous ses défenseurs. Bernoulli a consacré, comme nous l’avons vu, le quatrième livre de son Ars conjectandi principalement à la critique ; dans son

14 œuvre, Condorcet part d’un point de vue philosophique ; Laplace a écrit son Essai philosophique sur les probabilités ; dans le Traité élémentaire du calcul des probabilités de Lacroix, nous trouvons l’aspect philosophique défendu en permanence. Ici une remarque se présente : dans leurs considérations philosophiques, les mathématiciens anglais et français partent le plus souvent des principes du scepticisme de Hume et du sensualisme de Locke ; en conséquence, c’est de ces points de vue que nous trouvons aussi chez eux la justification du calcul des probabilités. Mais depuis qu’en Allemagne Kant a ouvert la voie à de nouvelles études concernant la connaissance, le calcul des probabilités est aussi examiné de manière critique au sens kantien du terme ; qu’il me soit permis sur ce point de n’évoquer que l’écrit de Jacob Friedrich Fries intitulé : Versuch einer Kritik der Wahrscheinlichkeitsrechnung (Essai de critique du calcul des probabilités). Bien qu’à vrai dire je sois maintenant à la fin de mon propre essai d’ébauche d’une brève image de la science, à partir des écrits et des traditions dont j’ai eu connaissance, je ne peux résister à la tentation de souligner l’utilité et la valeur du calcul des probabilités, en citant ici en traduction les derniers mots de l’Essai philosophique de Laplace : « On voit », dit-il, « par cet Essai que la théorie des probabilités n’est, au fond, que le bon sens réduit au calcul ; elle fait apprécier avec exactitude ce que les esprits justes sentent par une sorte d’instinct, sans qu’ils puissent souvent s’en rendre compte. Elle ne laisse rien d’arbitraire dans le choix des opinions et des partis à prendre, toutes les fois que l’on peut, à son moyen, déterminer le choix le plus avantageux. Par là, elle devient le supplément le plus heureux à l’ignorance et à la faiblesse de l’esprit humain. Si l’on considère les méthodes analytiques auxquelles cette théorie a donné naissance, la vérité des principes qui lui servent de base, la logique fine et délicate qu’exige leur emploi dans la solution des problèmes, les établissements d’utilité publique qui s’appuient sur elle, et l’extension qu’elle a reçue et qu’elle peut recevoir encore par son application aux questions les plus importantes de la Philosophie naturelle et des Sciences morales ; si l’on observe ensuite que, dans les choses mêmes qui ne peuvent être soumises au calcul, elle donne les aperçus les plus sûrs qui puissent nous guider dans nos jugements, et qu’elle apprend à se garantir des illusions qui souvent nous égarent, on verra qu’il n’est point de science plus digne de nos méditations et qu’il soit plus utile de faire entrer dans le système de l’instruction publique. »10

10

[Laplace 1840, p. 273 ; 1921, t. 2 p. 105].

15 Remarque finale : Il s’agit ici d’une conférence de vulgarisation scientifique prononcée à Halle devant l’Association de la recherche scientifique et visiblement fondée sur des études historiques approfondies de l’auteur. Comment Cantor en est arrivé à se préoccuper précisément de l’histoire du calcul des probabilités, sans avoir jamais lui-même conduit une recherche active en quelque domaine que ce soit concernant des mathématiques appliquées, dépasse nos connaissances actuelles. Ce qui est particulier à cette conférence et nous laisse de nos jours une impression curieuse, c’est la tendance continue à un optimisme joyeux, c’est cette croyance rationaliste du dix-huitième siècle en la puissance de la raison humaine et de l’esprit pratiquant le calcul mathématique, dont on doit aussi se réclamer dans la conduite de tous les domaines de la vie pratique et politique.

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