Robert FASSOLETTE RUGBY A XIII OU JEU A XIII

April 23, 2018 | Author: Anonymous | Category: N/A
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Robert FASSOLETTE Professeur d'Education Physique et de Sport Breveté d'Etat 3e degré de Rugby à XIII Diplômé de l'INSEP DEA d’Histoire du XXe siècle de l’IEP de Paris Président de l'Association "XIII-ACTIF"

RUGBY A XIII OU JEU A XIII ?

Problématique de départ: pourquoi deux Rugby?

Contrairement aux autres sports d'équipes, il existe donc deux versions du jeu de Rugby: le XV et le XIII. Pourtant aussi indépendants l'un de l'autre que toute autre discipline sportive reconnue sur le plan institutionnel, ils présentent néanmoins des caractéristiques si semblables qu'on peut se demander pourquoi ils ne sont pas réunis en un seul et unique sport. En effet, sur un terrain similaire, on y marque pareillement au pied - au travers de poteaux identiques - des drop-goals et des buts sur pénalité, ainsi que des transformations après avoir, pour un essai, déposé la balle à la main au-delà de la ligne de but. De même, les principes de base de la loi du hors-jeu y sont rigoureusement analogues et l'exigence de la passe en arrière avant de progresser vers l'avant balle en main y marque, de façon commune, la spécificité du jeu de Rugby. Au-delà de tant de similitudes apparentes, n'y aurait-il pas alors un point de divergence tel entre les deux qu'il puisse être permis d'expliquer pourquoi, depuis maintenant plus d'un siècle, ces deux disciplines aient pu maintenir parallèlement leur existence, non seulement sans jamais se réunir mais, surtout, en suscitant autant de passion et de controverses, de soutien envers l'un et de critiques envers l'autre? Notre hypothèse est que la dichotomie entre XV et XIII proviendrait de deux positions idéologiques différentes quant au rôle et à la place de l'individu dans la société, non seulement bien ancrées dans l'histoire politique du siècle écoulé mais aussi intimement inscrites dans chacune des ces deux façons de jouer au Rugby. Les conséquences en seraient ainsi réelles sur l'implantation géographique de chacun de ces deux sports dans le monde - et ce notamment en France - en fonction de la nature des régimes politiques en place. Au travers de l'exemple singulier du Rugby, pourrait-on alors constater que des choix idéologiques sont en permanence sous-jacents au sein de cet incontournable fait social du XXe siècle qu'est le sport, domaine que bien des pouvoirs cherchent à faire percevoir comme idéalement neutre et apolitique... pour plus efficacement y instiller leur idéologie?

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Un siècle de controverse autour de l'ovale A partir du moment où le Rugby à XIII sera pratiqué en France (1934), le Rugby à XV n'acceptera jamais la concurrence de ce sport. En effet, le premier s'avérera capable d'être nettement plus performant que le second et parviendra à recueillir le soutien d'un large public (années 36-39): la novatrice concurrence treiziste exaspère alors la traditionaliste orthodoxie quinziste. C'est qu'il s'agit là, malgré les ressemblances en apparence évidentes entre les deux Rugby, de deux philosophies - de deux logiques internes1 - fort différentes et même diamétralement opposées dont l'histoire sociopolitique des pays où ils sont pratiqués porte l'empreinte. En effet, l'origine de ces deux Rugby, dans l'Angleterre industrialisée de la fin du XIXe siècle, découle de la répulsion envers les classes modestes manifestée par les membres des classes dirigeantes reconvertis dans l'industrie naissante. Ces derniers, insuffisamment titrés au plan nobiliaire pour maintenir leur statut social dans une Angleterre en pleine évolution, se révéleront être les plus crispés - "choqués" - face à la montée du pouvoir ouvrier: pour eux, le sport deviendra le refuge - "le dernier bastion" - de leur caste sociale assiégée. Au contraire, en matière de Football (Soccer) - sport tenu par une aristocratie constituée de propriétaires terriens notoirement titrés, associés au pouvoir politique, et donc, à ce titre, nettement moins menacés dans leur prédominance sociale par la montée en puissance du monde ouvrier - les dirigeants établiront le compromis suivant, fortement teinté de paternalisme: autorisation du professionnalisme pour les joueurs issus des classes modestes en échange du maintien aux commandes fédérales du pouvoir et de la gestion amateurs (1885).2 En d'autres termes, les dominés pouvaient dorénavant accéder au monde de l'argent mais à condition que cela restât sous le contrôle exclusif des dominants et selon les critères imposés par ces derniers. En effet, cet arrangement faisait suite à une menace très sérieuse de scission de la part des clubs ouvriers de Football du Nord anglais3, à fort support de spectateurs et donc à recettes importantes, devant le refus de la Fédération (la FA, Football Association) d'accepter que les footballeurs puissent obtenir des salaires supérieurs aux modestes compensations du simple manque à gagner, lequel, pratiqué de façon plus ou moins voilée depuis le milieu des années

1 Le fait qu'un individu adhère à une pratique plutôt qu'à une autre peut être relié au fait qu'il retrouve dans les règles du sport qu'il a choisi ainsi que dans les stratégies de jeu qu'elles permettent de mettre en place - et donc dans les gestes techniques qui en découlent - un certain nombre de ses propres repères et empreintes culturels: on parlera alors de logique interne d'une activité. 2 Voir à ce propos E. Dunning et K. Sheard, Barbarians, Gentlemen and Players, New York, N.Y. Univ. Press, 1979, ch. 9. 3 En 1884, en réaction à son refus de légaliser le professionnalisme, la FA verra se dresser face à elle le projet de constitution d'une British Football Association dissidente, émanant des clubs du Nord industriel, lesquels ne pouvaient envisager de demeurer compétitifs qu'à la seule condition de payer leurs bons joueurs, majoritairement de niveau social modeste, pour s'entraîner et jouer. Voir Dunning et Sheard, op. cit., p. 186.

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1870, avait été officialisé par la FA en 1882. 4 Pour conserver le contrôle du Football, il avait bien fallu faire certaines concessions. A ce prix était l'essentiel: le maintien au pouvoir fédéral de la classe dominante. En conséquence, demeurant seuls à défendre la pure tradition, les dirigeants du Rugby rigidifieront leur posture sociale en faisant de leur jeu une activité "exclusivement" réservée aux "amateurs" (1886-93): il n'était plus question de céder sur quoi que ce soit face aux aspirations du peuple. Dans de telles conditions, il ne restait aux gens des classes modestes désirant faire du Rugby qu'à se démettre. Ou à s'organiser par euxmêmes pour créer une version du jeu de balle ovale correspondant à leur légitime volonté de reconnaissance sociale. Ce qu'ils firent (1893-95).5 Ainsi naîtra un autre Rugby, qui se différenciera progressivement de l'originel en quelques années (1895-1906) dans l'autonomie d'une fédération distincte (NRFU), la future Rugby Football League actuelle (XIII), d'abord superbement méprisée - puis ardemment combattue en raison de sa réussite - par la fondatrice Rugby Football Union (XV) à l'attitude très orthodoxe dans la défense apologétique de ses valeurs et donc de ses privilèges. Il n'est pas inintéressant de remarquer ici que cette émancipation treiziste se déroulera sur un laps de temps correspondant exactement au parcours historique d'émergence du Labour Party travailliste: de sa genèse avec le Parti ouvrier indépendant de James Keir Hardie (fondé en 1893 à Bradford, ville dont le club de Rugby sera l'un des fondateurs de la NRFU et toujours l'un des leaders de la Rugby League actuelle6), jusqu'à son arrivée au pouvoir avec les Libéraux de David Lloyd George en 1906 (année où le Rugby à XIII prendra sa forme de jeu spécifique avec, accessoirement, la réduction du nombre des joueurs de quinze à treize et surtout, essentiellement, avec l'adoption du jeu du tenu en remplacement de la mêlée ouverte, jugée dangereuse pour les joueurs et source, à la fois, de trop de perte de temps pour les spectateurs et d'injustice arbitrale du fait de sa

4 E. Dunning et K. Sheard, op. cit., p. 185-186. 5 Voir T. Delaney, The Roots of Rugby League, Delaney / Smith Settle, Otley, Angleterre, 1984; du même auteur, Rugby Disunion (volume one: Broken-Time), Delaney / Thornton & Pearson, Bradford, Angleterre, 1993; E. Dunning et K. Sheard, op. cit., ch. 8 "The Split." Le 20 Septembre 1893, à Londres, l'Assemblée générale de la Rugby Football Union (RFU) refuse d'entériner la proposition des clubs du Nord de reconnaître le manque à gagner (broken time payment) pour les rugbymen de condition sociale modeste. En conséquence, et après deux années de tensions et d'infructueuses discussions, le 29 Août 1895, à Huddersfield, 20 clubs du Nord (Yorkshire et Lancashire) se retrouveront dans l'obligation de faire sécession devant l'intransigeance castique de la RFU et décideront de fonder la Northern Rugby Football Union (NRFU), fédération au sein de laquelle - dans un premier temps tout au moins - sera pratiqué le même Rugby que sous l'égide de la RFU, mais où les joueurs recevront des compensations financières pour perte de salaire du fait de leurs activités sportives (entraînements, déplacements, matchs...). 6 La concomitance entre la naissance du Parti travailliste et l'émergence du Rugby à XIII est encore soulignée par le fait que c'est dans des villes où furent créés les premiers Labour Unions, véritables précurseurs du Labour Party, que l'on trouve également les clubs de Rugby qui deviendront les fondateurs de la NRFU, avec, par exemple (en plus de Bradford), Huddersfield, Halifax, Keighley..., autant de clubs toujours affiliés à la Rugby League. Voir Clive Behagg, Labour and Reform: Working-Class Movements (1815-1914), Hodder & Stoughton, Londres, 1991, p. 116.

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confuse opacité). Il aura donc fallu... 13 ans (!) pour que le contexte socio-politique de ces années décisives dans l'histoire intérieure de l'Angleterre permette - que ce soit sur le plan politique en général ou sur celui du Rugby en particulier - de passer du simple surgissement d'une contestation organisée, émanant des classes modestes, à la constitution d'organisations institutionnelles crédibles et durables, représentatives des aspirations de ceux dont on avait jusque là omis de prendre en compte l'existence sur le plan social.7 Seul sport d'équipe d'origine britannique à ne pas être issu de la classe dominante mais à avoir réussi - malgré tout ce qui fut entrepris contre lui - à maintenir son existence et sa liberté depuis plus d'un siècle, le Rugby à XIII nous semble avoir pâti, tout au long de son histoire, de son défaut de "quartiers de noblesse." Regardé comme "l'enfant bâtard" de la famille du sport, il sera ainsi soit mis à l'index dans certains pays (particulièrement en France, et de façon paroxystique sous Vichy), soit mis en valeur ailleurs sur le globe, car il se caractérise par une manière différente de voir les choses du sport. En effet, de même que tous les autres sports dits collectifs, le Rugby à XIII procède d'une mise en scène symbolique, dans un cadre de lois spécifiques, des rapports d'opposition et de coopération de la vie, mais il s'en démarque par une manière distincte, non conforme à la tradition, d'y mettre en jeu l'individu. Les deux Rugby apparaissent alors comme deux approches divergentes de la même activité, comme deux cultures sportives différentes, c'est-à-dire - dans une acception anthropologique - comme deux civilisations séparées, en termes de pratique de balle ovale s'entend. Toutefois, ne constate-t-on pas que les règles et les conceptions tactiques actuelles du Rugby à XV sont en train de nettement évoluer dans le sens de celles du Rugby à XIII?8 On est alors en droit de se demander deux choses: tout d'abord, le Rugby à XV ne seraitil resté obstinément amateur que du seul fait de l'existence du Rugby à XIII; ensuite, ce qui peut actuellement apparaître comme un rapprochement entre les deux Rugby n'aboutira-t-il pas, à terme, à l'unification de ces deux sports? En effet, la professionnalisation récente du Rugby à XV 9, ne va-t-elle pas conduire ses dirigeants à la 7 Sur le parallèle que nous établissons entre la naissance du Labour Party et l'émergence du (futur) Rugby à XIII, voir l'analyse du contexte de l'époque faite par Dunning et Sheard, op. cit., p. 194-200. 8 A savoir, par exemple, dans le domaine des règles: restriction du rôle défensif des troisième-lignes ailes pour favoriser l'attaque et augmenter le temps de jeu effectif; récupération de la balle par l'équipe non fautive après avance de la marque - sur pénalité - au moyen d'un tir direct en touche; renforcement de la sécurité des joueurs en mêlée et en touche; diminution de plus en plus accentuée de la possibilité de gagner du terrain par un dégagement direct en touche; intervention des juges de touche pour informer l'arbitre... Et que dire des propositions de Pierre Berbizier, ex-capitaine et entraîneur du XV de France, préconisant "de ne pas faire une fixation parce que c'est le XIII (...). Je suis favorable au fait que l'arbitre redonne quatre fois de suite la balle à l'équipe qui attaque" (Le Parisien, 8 Novembre 1994)! Dans le même ordre d'idée, en Angleterre, des entraîneurs professionnels quinzistes reconnaissent s'inspirer du XIII pour leurs conceptions tactiques (voir L'Equipe, 25 Septembre 1997). 9 Ce passage au professionnalisme fut décidé dans l'urgence, principalement sous la pression de la Nouvelle Zélande et, surtout, de l'Afrique du Sud, le 27 Août 1995 à Paris, lors de la réunion de

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même démarche qui présida à la mise en place progressive du Rugby à XIII, il y a plus d'un siècle? Ici apparaissent, selon nous, les prémices de ce que nous appellerons l'inéluctable treizistification du Rugby à XV. De quoi sera alors fait l'avenir du Rugby? Sera-t-il treiziste, quinziste ou hybride? Si l'on considère que chacun des deux Rugby, comme le préconise Claude Lévi-Strauss pour tout système culturel, "correspond à la façon propre dont chaque société a choisi d'exprimer et de satisfaire l'ensemble des aspirations humaines", c'est-à-dire que si les deux Rugby "représentent autant de choix exclusifs", alors "on aperçoit mal comment une civilisation pourrait espérer profiter du style de vie d'une autre, à moins de renoncer à être elle-même." Les craintes des dirigeants du Rugby à XV, dans les années ayant précédé sa professionnalisation10, nous semblent confirmer la thèse de Lévi-Strauss: ils affirmaient alors que si leur sport passait professionnel, "le jeu en deviendrait méconnaissable."11 C'est-à-dire qu'en passant professionnel, le XV perdrait sa spécificité en se rapprochant du XIII. Dans ces conditions, un compromis est-il envisageable entre les deux Rugby? Si l'on continue de suivre Lévi-Strauss, il n'y aurait en ce cas qu'une seule alternative: "soit une désorganisation et un effondrement d'un des groupes; soit une synthèse originale, mais qui, alors, consiste en l'émergence d'un troisième système lequel devient irréductible par rapport aux deux autres."12 Mais pourrat-on trouver un moyen terme entre le fait de lâcher la balle ou de la conserver au moment du placage? C'est ici que les grands réseaux médiatiques, avides d'uniformité culturelle sportive au plan mondial pour raison financière, joueront peut-être un rôle déterminant. Rupert Murdoch ne dispose-t-il pas déjà de "droits" imposants tant en matière de Rugby à XV que de Rugby à XIII au plan mondial?13 Les règles du Rugby à XV ont commencé à évoluer l'International Board de Rugby à XV, tenue quelques semaines après la 3e Coupe du Monde disputée en Afrique du Sud au mois de Juin précédent. En effet, si le Rugby à XV avait persisté dans son refus du professionnalisme, bon nombre des meilleurs joueurs des pays majeurs de l'hémisphère Sud (comme, par exemple, le All Black J. Lomu ou le Springbok J. van der Westhuizen) auraient pu répondre positivement aux offres de contrat faites à eux par les clubs de Rugby à XIII professionnels néo-zélandais et, surtout, australiens ou anglais. C'est ainsi que le Président fédéral sud-africain, Louis Luyt, craignant de voir partir trop de joueurs vers ce Rugby à XIII qui permettait - lui seul, à l'époque - des gains officiels, se déclarera clairement en faveur du professionnalisme en Rugby à XV "afin, affirmera-t-il, de couper l'herbe sous le pied des treizistes" (L'Equipe, 22 Mai 1995), c'est-à-dire à un moment où il était devenu vital de "stopper la fuite des talents vers le XIII" (L'Equipe, 19-20 Juillet 1997). 10 Depuis la première Coupe du Monde de Rugby à XV, en 1987. 11 Dudley Wood, alors Secrétaire général de la RFU, in Rugby News, Vol. 1, n° 2, Novembre 1988. Texte original: "The game would change out of all recognition (...)." 12 Les quatre citations de Claude Lévi-Strauss sont tirées de "Race et Histoire [9. La collaboration des cultures]", in Anthropologie structurale deux, Paris, Plon, 1973, p. 416. 13 Le groupe "News Corporation" de Rupert Murdoch s'est octroyé (en Juin 1995), pour 850 millions de francs sur dix ans, les droits télévisuels de toutes les rencontres internationales (Tournoi des trois nations : les Tri-Series) et interprovinciales (le Super 12 opposant 5 provinces de Nouvelle Zélande, 4 d'Afrique du Sud et 3 d'Australie) des trois grands pays rugbystiques de l'hémisphère Sud; en Rugby à XIII, R. Murdoch a doté la Super League européenne franco-britannique, en 1996, de la somme de 87 millions de £ sterling

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dans les compétitions internationales élitistes financées par R. Murdoch dans l'hémisphère Sud (Super 12 et Tri-Series) et ce sans l'accord préalable de la Fédération internationale de XV; de même, la Super League mondiale de Rugby à XIII, sponsorisée par le même parrain, commença-t-elle, en 1996, par retoucher quelque peu les règles d'un Rugby à XIII que l'Australian Rugby League (ARL) - seule fédération à disposer de moyens importants pour résister, en partie tout au moins , à l'OPA de Murdoch - continua à pratiquer pendant deux ans selon la logique traditionnelle du jeu. 14 Avant que l'avenir n'apporte sa réponse au problème de cohabitation ovale XV-XIII né de l'attitude ségrégative des dirigeants de la RFU qui décidèrent, au tournant du siècle dernier, de maintenir leur jeu en dehors du temps social en mutation, intéressons-nous quelque peu à l'histoire passée et présente de ces deux Rugby, à savoir au fait que la pratique de l'un ou de l'autre n'a, en conséquence, jamais été politiquement neutre. Et ne l'est toujours pas.

Deux logiques internes pour un choix politique Du fait de sa genèse, la ligne directrice du Rugby à XIII sera de permettre aux gens modestes de mieux s'en sortir socialement. Ce sport mettra ainsi l'individu en valeur en le respectant au plus haut point et en le plaçant dans des conditions de jeu favorisant l'expression totale de ses qualités. De plus, l'être humain étant par essence faillible - et ce de quelque origine sociale qu'il soit - il doit être placé en position de responsabilité devant les situations où il se trouve temporairement mis en échec avant que ne soit porté sur lui un jugement définitif: il convient donc de lui donner sa chance. C'est là tout le sens du jeu du tenu. Le joueur plaqué, donc immobilisé par un adversaire ayant pris momentanément le meilleur sur lui, gardera le contrôle du ballon et sera chargé de réparer lui-même son erreur, au mieux et au plus vite, pour permettre à son équipe de continuer l'action en s'adaptant adéquatement à la nouvelle situation ainsi créée: de la qualité du comportement de celui qui aura connu le revers dépendra la continuité du projet de l'équipe (limité au jeu de 5 tenus consécutifs avant de donner une chance égale à l'adversaire). pour cinq ans. A ces droits du Rugby il faut rajouter, aux USA, ceux du Football américain, sport proche de chacun des deux Rugby par certains aspects. Peut-on alors exclure des intentions de R. Murdoch celle de ne faire qu'un seul sport - global - de balle ovale? 14 Des 22 clubs "pro" que comptait l'ARL en 1995, 12 lui sont restés fidèles en 1997 et 10 jouèrent en Super League. Il y eut donc, cette année-là, deux championnats "pro" de Rugby à XIII en Australie. En 1998, un compromis fut signé entre les deux "puissances" et 20 clubs disputèrent un championnat "unifié" (avec règles du jeu harmonisées) sous l'égide de la National Rugby League (NRL) créée pour l'occasion, l'ARL ayant conservé, entre autres, ses prérogatives de sélection et de représentativité au plan international (les Kangourous). Actuellement, en l’an 2000, la compétition professionnelle treiziste australienne ne regroupe plus que 14 clubs, compte tenu de la volonté de restreindre l’élite, non seulement pour élever le niveau de jeu mais aussi (et peut-être surtout) pour réduire les énormes coûts d’investissement des financeurs.

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Le Rugby à XIII est ainsi celui des deux Rugby qui admet un droit à l'erreur, assorti d'une possibilité de réparation de cette erreur, en faveur de celui sur lequel l'adversaire a pris le dessus. Si l'on transpose cette philosophie du jeu sur le plan social au sens large, le symbole treiziste est ici particulièrement fort qui permet de donner sa chance à l'individu face à l'adversité, alors que dans le Rugby traditionnellement enseigné en France - le XV , celui qui est mis en infériorité face à l'adversaire perd obligatoirement l'initiative du redémarrage du jeu ou de sa continuité. Alors que le Rugby à XV confie au groupe des partenaires le rôle de réparer au mieux l'erreur du joueur sur lequel l'adversaire a pris l'avantage, le Rugby à XIII, par le jeu du tenu, place entièrement l'individu-joueur devant ses propres responsabilités, et ce depuis 1906. Sport foncièrement équitable, au sens où il donne à chacun des joueurs sur le terrain quel que soit son poste - l'opportunité de se présenter tel qu'en lui-même et d'être ainsi apprécié selon sa propre valeur, le Rugby à XIII - sport où il est impossible de faire illusion - sera tout naturellement choisi par l'Australie où il deviendra - logiquement - le Rugby n° 1. Ce pays se distingue, en effet, par une société émancipée des carcans hiérarchiques traditionnels de la vieille Europe, laquelle, après que l'Angleterre y eut envoyé en bagnards ceux qu'elle considérait socialement comme des "bastards", avait été fuie au XIXe siècle par des gens qui s'y sentaient défavorisés et entravés sur le plan sociopolitique: ils iront ainsi établir aux antipodes une communauté plus en accord avec leurs profondes aspirations humanistes dont le XIII, en matière de Rugby, sera le vecteur sportif identitaire privilégié. Pour corroborer ce point de vue, mentionnons l'expérience "australe" d'Abdelatif Benazzi. Le capitaine du XV de France a joué quelques mois, en 1995, pour un club quinziste à Sydney où, d'après le journaliste auquel il s'est confié, "il a très vite compris que le jeu à quinze contre quinze s'épanouissait lentement dans une discrétion teintée d'indifférence. En Australie, le treize est roi. (...) les joueurs de la Rugby League envahissent les écrans et remplissent les stades." Et il avouera: "même nous, avec l'équipe, on allait voir leurs matchs (...). Les seuls spectateurs de nos rencontres, c'était la famille de mes partenaires." Le grand Abdel, marocain d'origine, contrairement à bien d'autres internationaux français, n'avait pas accepté de signer d'engagements avec des clubs d'Afrique du Sud car, "au pays des Springboks, le racisme a encore de beaux jours devant lui." Lui qui, en France, est membre du Haut-Conseil à l'Intégration, "cet organisme créé pour réfléchir à une meilleure vie en commun", avait choisi d'aller en Australie pour ses piges ovales d'été car "à Sydney, il y a une multitude de races (...) . Tout le monde se respecte." Ainsi, par son "tropisme treiziste", l'Australie montre-t-elle bien l'adéquation des liens entre une société et ses jeux.15 15 L'ensemble des citations de ce § est tiré de l'article "Le capitaine du XV de France, Abdelatif Benazzi, aime l'Australie", signé Pascal Ceaux (Le Monde, 26 Juin 1997).

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Tout au contraire, le Rugby à XV, en quelque sorte, efface l'individu de la scène lorsqu'il est pris en défaut, mis à la faute (selon la terminologie quinziste) par le placage adverse: le joueur "pris" doit lâcher la balle (s'il y parvient) et ne peut plus, momentanément, participer au jeu. Le but originel du Rugby à XV, dans la très puritaine Angleterre victorienne, étant de façonner de bons "chrétiens musclés" (muscular christians16), le sort du joueur plaqué sera alors transféré à une instance supérieure, d'inspiration religieuse: il faut en effet que ce joueur "fautif" expie sa faute. Ce rôle sera dévolu au piétinement adverse (rucking), d'autant plus "légal" que le joueur plaqué n'aura pu libérer le ballon. Mais ce châtiment (ô combien corporel!) pourra être atténué s'il est apporté au "fautif" une rapide protection par le groupe de ses partenaires, le "pack." Ce "paquet" monobloc et anonyme, auprès duquel le joueur "sauvé" contracte une dette en reconnaissance, de caractère identitaire, est chargé de faire obstacle à des adversaires qui, par le même moyen, veulent s'emparer de ce ballon sans maître, redevenu accessible, symbole sportif de la convoitise et du pouvoir potentiel sur autrui. Le blocage momentané du jeu se résoudra ici - obligatoirement - par un combat bloc contre bloc (mêlée dite "ouverte") où la force mécanique du plus fort déterminera le dénouement de cette lutte à l'issue de laquelle seuls certains joueurs émergeront de la globalité en profitant du travail obscur de "ceux de devant": beaucoup auront dû se sacrifier pour que quelques-uns puissent briller.17 Et si la situation de jeu se bloque complètement (balle ne sortant pas de cette mêlée), entre alors en scène l'arbitre, représentant des puissances organisatrices supérieures, lequel est "désigné" pour remettre en ordre le chaos ainsi créé. Mais comme cette mêlée s'avère souvent confuse, opaque et obscure, personne ne peut dire exactement ce qu'il s'y passe. Littéralement pontifié, l'arbitre a donc pour mission de trancher. Comme il l'entend. C'est pourquoi, même malgré les "nouvelles règles" actuelles, l'arbitraire prend encore parfois le pas sur l'arbitrage autour des regroupements quinzistes.18 Nous sommes là en présence d'une mise en scène symbolique de la spécificité de tout système à caractère plus ou moins totalitaire, qu'il soit colonialiste, fasciste ou ségrégationniste. C'est-à-dire de tout système inféodant la majorité à une élite plus ou 16 Voir Malcolm Tozer, "From "Muscular Christianity" to "Esprit de Corps": Games in the Victorian public schools of England", in Stadion, VII, 1, 1981, p. 117-130. 17 Lors des rencontres du Tournoi des 5 nations, diffusés sur France-Télévision, il est décerné un "talent d'or" du match par les téléspectateurs: combien de fois un joueur du "cinq de devant" (les 1ère et 2me lignes qui sont au charbon sur la ligne de front du combat pour le ballon) a-t-il été honoré en comparaison de ceux des lignes arrières qui profitent de leur travail de sape en mettant à profit les brèches ainsi créées "devant" pour s'illustrer et recueillir - seuls - les lauriers? 18 Interrogé par la presse sur le fait de savoir s'il faut faire évoluer les règles de l'actuel Rugby à XV, l'arbitre international Patrick Robin, "numéro un de l'arbitrage français", est sans ambiguïté sur le sujet: "Oui, je crois qu'il est grand temps qu'elles évoluent de façon à ce qu'elles ne laissent pas de place à l'interprétation. Une interprétation qui peut amener à favoriser une équipe plutôt qu'une autre, volontairement ou involontairement." (Midi Olympique, 15 Janvier 1996, souligné par nous). Ajoutons ce commentaire, constatant, en matière de règles au Rugby à XV, que l'arbitre est "humainement incapable de toujours [en] faire respecter la lettre ..." (L'Equipe, 19 Mai 1997).

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moins autoproclamée qui cherche à gommer tout ce qui est considéré comme d'indésirables aspérités individuelles afin de régir à son aise cette masse au profil poncé, lissé, où rien ne doit dépasser et où tout est décidé en dehors de l'individu: pour ce dernier aucune issue sociale avantageuse possible sans l'acceptation docile des normes imposées au collectif par le(s) chef(s). Ce n'est donc pas un hasard si le Rugby à XV, via les public schools anglaises, fut le support sportif privilégié de la formation des cadres surtout administratifs et militaires19 - chargés de mettre en place le Rule Britannia jusqu'aux confins de l'Empire.20 Pas un hasard non plus si l'Italie fasciste et l'Allemagne nazie mirent si largement le Rugby à XV à leur service pour préparer leurs élites respectives à la guerre.21 De même, l'Afrique du Sud fit de ce Rugby le socle sportif de son régime d'apartheid auquel les Springboks serv(ai)ent si bien de phalange. 22 Quant à 19 Alors que les dirigeants du Football anglais étaient issus des plus prestigieuses public schools du pays (Eton, Harrow...), lesquelles fournissaient au pays son élite décisionnelle (surtout politique et économique), les dirigeants du Rugby venaient, quant à eux, d'écoles moins renommées car de création plus récente où était, en conséquence, formée une élite subalterne (l'Administration et l'Armée) chargée de faire appliquer les décisions prises au niveau supérieur du pays et ce partout dans le monde où flottait l'Union Jack. Ainsi, devient-il alors possible d'avancer l'hypothèse que ceux qui ne côtoyaient pas directement les masses populaires, tout en les contrôlant à distance, aient dirigé le sport d'évitement par excellence qu'est le Football, alors que, en net contraste, ceux qui étaient quotidiennement en prise avec "le terrain" aient fait leur le sport de contact et de combat qu'est indéniablement le Rugby à XV. Le Rugby à XIII, quant à lui, libéré par son autonomie des contingences de la classe dominante, trouve, selon nous, sa synthétisante originalité dans le fait de favoriser le jeu d'évitement tout en conservant le contact au travers du combat homme à homme, lequel est instauré au détriment de ce qui engloutit l'individu dans l'anonymat, à savoir le combat collectif que le XV propose systématiquement comme premier. 20 Voir Richard Holt et Tony Mason, "Le Football, le fascisme et la politique étrangère britannique", in Sport et relations internationales pendant l'entre-deux-guerres, Pierre Arnaud et Alfred Wahl (Dir.), Programme Rhône-Alpes de recherche en sciences humaines, 1993. Les auteurs insistent sur le "rôle qui fut joué particulièrement par le Cricket et le Rugby [pour parvenir au] maintien de la cohésion de l'Empire britannique" (p. 101). Le rôle "formateur" du Rugby est également souligné par Malcolm Tozer, op. cit., p. 127: "Dans la plupart des public schools, la mission de développer l'esprit de corps incombera alors au Rugby." Notons enfin que l'Armée impériale britannique sera caractérisée par son soldat automate à l'obéissance aveugle et servira de modèle à la création de l'Armée rouge soviétique. 21 Le Président de la Fédération italienne de Rugby d'avant-guerre n'est autre qu'un militaire de haut rang, le Général Vaccaro: il considère que "le Rugby ... est vraiment l'idéal pour une préparation athlétique ...faisant l'individu sain et bien trempé pour toutes les batailles" (in Rugby, n° 365, 8 Octobre 1938). Voir encore Rugby du 6 Février 1937 où l'on apprend que la pratique du Rugby est recommandée par le Général commandant le 11me Corps d'Armée allemand et qu'un régiment de Leipzig fait de même; quant à Hermann Meister, le Président du Rugby germanique, il voit ses "efforts couronnés de succès" pour développer le Rugby dans la Kriegsmarine: son intention est de créer, à court terme, une équipe nationale militaire allemande de Rugby à XV. Pour sa part, Jean Marie Brohm n'hésite pas à avancer que le Rugby à XV "avec ses furieux corps à corps et ses "règlements de comptes" est déjà ... la préfiguration symbolique de la violence fasciste" (Les meutes sportives, L'Harmattan, 1993, p. 281). 22 Voir J.P. Bodis, Le Rugby sud-africain, histoire d'un sport en politique, Ed. Karthala (Paris) / Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine (Talence), 1995, où est retracé l'évolution de "ce sport, symbole de la communauté ethnique et politique qui a instauré l'apartheid" (commentaire de La lettre de l'économie du sport, n° 310, 12 Juillet 1995). Par ailleurs, André Passamar fait état de l'implantation du Rugby à XIII en Afrique du Sud en 1961 et de son interdiction de pratique en 1964, après que le XIII d'Afrique du Sud eut battu la Nouvelle Zélande à Auckland, le 10 Août 1963: "En faisant interdire aux "pros treizistes" les terrains sur lesquels ils jouaient, eux, amateurs, les XV finirent toutefois par remporter la formidable bataille qui s'était engagée entre les deux sports" (in L'Encyclopédie de Treize-Magazine, 1983, p. 1). De même, la lecture de la presse sud-africaine fait ressortir le fait que la politique d'apartheid, malgré sa suppression officielle au plan du pays, s’est toutefois avérée être maintenue à l'encontre du Rugby à XIII: "Les joueurs amateurs de Rugby à XIII avaient jusqu'au 9 Février 1996 pour passer au XV, passé ce délai ils s'exposeront à une suspension de 3 ans au sein du Rugby à XV professionnel" (déclaration de Edward

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l'(ex)URSS, elle trouvera naturellement dans le Rugby à XV un champ commun d'expression avec son système politique où si peu profiteront du sacrifice de tant d'autres.23 Il faudra, d'ailleurs, attendre l'effondrement de l'URSS (1991) pour voir le Rugby à XIII s'implanter au-delà de l'ex-rideau de fer, dans quelques-unes unes des nouvelles républiques issues de la CEI. Pour ce qui est de la France, très en cour auprès des sphères de décision, surtout lorsqu'elles sont de tendance traditionaliste ou conservatrice, les dirigeants du Rugby à XV y obtiennent de façon quasi constante sur le plan historique le soutien politique du pouvoir dans leur tentative de barrer la route au développement treiziste. Au terme d'une campagne permanente de diabolisation, relayée par la presse d'influence, une attitude globale d'ostracisme prendra corps, en haut lieu, contre le Rugby à XIII. Et ce dès Janvier 1934, avant même que le premier joueur français n'ait signé la moindre licence treiziste! De même, malgré le fait que les communistes aient été ardemment combattus par Vichy, le choix "politique" fait par la très stalinienne FSGT de la Libération de favoriser le seul Rugby à XV (pourtant d'origine très aristocratique et soutenu par Vichy qui l'érigea en sport d'Etat) au détriment du Rugby à XIII (d'origine ouvrière et interdit par Vichy) 24, montre combien le souci de l'individu est absent des systèmes à caractère totalitaire, quels qu'ils soient: pour ces derniers, seule la stratégie du bloc (contre un autre bloc) est justifiée. Le sport communiste, pour mieux le combattre, emploiera donc les mêmes méthodes que le "sport bourgeois." Aucune chance, donc, pour un Rugby à XIII au profil idéologique centré sur le respect de l'individu-joueur dans une France où l'EPS et le sport - à l'école comme sur le stade - passeront pour un demi-siècle sous la mystificatrice Griffith, directeur général de la Fédération Sud-africaine de Rugby à XV, dans le Saturday Star de Johannesburg daté du 10 Février 1996). 23 D'après l'organe officiel de la FFR (XV), c'est à partir de 1937 que "le Comité de la Culture Physique et des sports a donc résolu de porter ses efforts du côté du Rugby pour en propager la diffusion dans toute l'Union Soviétique" (Rugby, n° 308, 29 Mai 1937). 24 Curieusement, en effet, la FFR (XV) sera la toute première fédération à signer une convention avec la FSGT, le 2 Novembre 1945, dont l'Article 8 stipule: "La FSGT s'engage à ne commettre aucun acte et à ne prendre aucune disposition pouvant gêner la FFR dans ses rapports internationaux." Or, cette convention prévoyait, dans son article 3, la double appartenance FSGT (omnisports) / FFR (Rugby à XV) pour les clubs: c'était là la stratégie communiste qui visait à faire de la FSGT une espèce de super-fédération sportive nationale en phagocytant les licenciés des autres fédérations. En conséquence, si la FSGT venait à signer une convention avec le Rugby à XIII, les joueurs FSGT issus de la FFR (XV) auraient ainsi pu pratiquer cet autre sport, c'est-à-dire se mettre en absolue délicatesse avec les principes du dogme, édicté par l'International Board quinziste, exigeant une intransigeante pureté de pratique rugbystique de la part de ses adeptes. Lorsque l'on saura qu'en 1945 la FFR (XV) cherchait frénétiquement à se faire réadmettre par les Britanniques dans le Tournoi des 5 nations pour ne pas se retrouver à nouveau isolée sur le plan international (le XV de France ne retrouvera le Tournoi qu'en 1947), on comprendra alors tout le sens de cet Article 8, lequel, en fait, montre implicitement que la FSGT empêche la pratique du Rugby à XIII sous son égide. Pour ne pas "gêner la FFR" face aux Britanniques! Il y avait donc intérêt réciproque: la FFR (XV) muselait à nouveau "le danger treiziste" et la FSGT récupérait en son sein une fédération "installée", forte de nombreux clubs et licenciés, ce qui, en cette fin 1945, est loin d'être le cas d'un Rugby à XIII dont le retour n'est encore que balbutiant sur les terrains et, surtout, loin d'être assuré sur le plan institutionnel. Signalons également que dès le début de la Guerre froide, en 1947, la majorité des fédérations signataires de conventions avec la FSGT, depuis 1945, les dénonceront pour cause de politisation excessive du sport communiste. Pas la FFR (XV).

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influence rouge.25 Sans oublier l'institution scolaire étatique au sein de laquelle est mise en place une logique de type "quinziste" demandant à l'élève de se plier aux normes du groupe, édictées en dehors de lui, s'il veut avoir une chance de s'insérer convenablement dans la société. Tout comme ce fut le cas dans l'Angleterre victorienne, le Rugby à XV apparaît encore comme un excellent véhicule des normes et des valeurs que le pouvoir politique traditionnel souhaiterait voir instiller à la population scolaire. 26 Cependant, à la constance des partis pris du pouvoir politique français en faveur du XV s'était avant-guerre opposée la conception humaniste du sport et des loisirs avancée par certains responsables du Front Populaire. En effet, en Janvier 1938, des ministres intègres et tolérants comme Léo Lagrange et Jean Zay n'accepteront plus l'ostracisme institutionnel anti-XIII orchestré par la Fédération Française de Rugby (XV). 27 De ce fait, ils contribueront efficacement à faire officiellement reconnaître le Rugby à XIII 28, lequel était alors le sport d'équipe faisant le plus honneur à la France par ses brillants résultats internationaux: le XIII de France sera ainsi la première équipe française de "sport co" à battre les Anglais sur leur sol.29 Léo Lagrange et Jean Zay se dresseront délibérément contre la volonté de la grande majorité des fédérations sportives françaises, au premier rang desquelles la FFR (XV), qui voulaient proscrire le Rugby à XIII du mouvement sportif pour, entre autres, l'empêcher de pénétrer à l'école où son succès aurait été certain ainsi que, surtout, pour cause de mise en doute du dogme séculaire véhiculé par les tenants de 25 L'influence de la FSGT et de ses théoriciens - au premier rang desquels nous trouvons René Deleplace, le grand spécialiste du Rugby à XV - sur les milieux de l'EPS en France a été très importante depuis la Libération (voir Gilbert Pouillard, "La FSGT dans l'évolution des idées et des pratiques physiques sportives", in L'Education Physique et le Sport en France, Journée d'étude du 30 Janvier 1988, Centre de Recherches en STAPS, Paris "X" Nanterre, p. 44-54). De même, la philosophie des pays de l'Est en matière de sport de compétition a été très répandue dans le sport français de haut niveau, notamment par l'INSEP qui recruta, dans les années 60-70, des traducteurs de russe afin de faciliter l'accès des entraîneurs français à la littérature du sport rouge. Voir également Marianne Amar, Nés pour courir. Sport, pouvoirs et rébellions, 1944-1958, Grenoble, PUG, 1987, ch. 7, "Les mollets rouges." 26 En Angleterre, la pratique du Rugby à XV demeure encore aujourd'hui obligatoire dans les public schools, soit pour les 5% environ de la population scolaire issue de l'élite sociale. En France, sous Vichy, le Colonel Pascot imposera par circulaire la pratique du Rugby à XV dans les lycées (source: Henri Mavit, "Education Physique et Sports", in Revue d'histoire de la deuxième guerre mondiale, n° 56, 1964, p. 101). 27 Un arrêté du Ministère de la Jeunesse et des Sports, en date du 26 Mars 1997 (JO du 30 Avril 1997), précise - pour la première fois dans l'histoire institutionnelle du sport français - que la FFR a reçu délégation de pouvoir pour le... Rugby à XV et non plus pour le seul Rugby. D'où notre dénomination permanente de "FFR (XV)" tout au long de cet article. La logique administrative voudrait que - comme est officiellement reconnue une FFR XIII (par le même arrêté du MJS) - soit en conséquence reconnue une FFR XV et non plus une "FFR tout court", laissant ainsi encore planer quelque doute quant à la possibilité administrativement potentielle - d'hégémonie de cette fédération sur les différentes formes de pratique du Rugby français. En effet, les actuels statuts de la FFR (XV) - adoptés le 14 Décembre 1996 - ne prévoientils pas, dès leur Article premier, que l'objet de cette fédération est "d'encourager et développer la pratique du jeu de rugby (rugby à 15, rugby à 7, et toute autre forme de rugby à moins de 15 joueurs)", in Rugby, n° 974, Décembre 1997, p. 641, (souligné par nous)? 28 Agréé par le Ministère de la Guerre sous le n° 16 739, le 12 Janvier 1938 (source: Herman Grégoire (dir.) La guerre des deux Rugby, Croisades Sportives, 1938, p. 26). Voir également L'Echo des sports, 25 Janvier 1938. 29 Score: 12-9, le 25 Février 1939, à... St Helens (Lancashire)!

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l'amateurisme traditionnel. C'est-à-dire, en réalité, pour supprimer une concurrence fort encombrante pour la FFR (XV). Cette dernière, en effet, aura une telle "frousse verte"30 de la concurrence treiziste qu'elle fera se liguer nombre de fédérations dans un "pacte affinitaire" (1934)31 dont le but était autant d'interdire l'accès des terrains et des stades au Rugby à XIII32 que de radier à vie de toute fédération "amateur" tout joueur qui aurait pratiqué, ne serait-ce que pour un seul match, ce sport jugé impur! 33 Avant 1938, tout sera tenté par les quinzistes pour faire barrage au Rugby à XIII. C'est ainsi que pour les dogmatiques du sport "la trace de treize joueurs empeste un terrain pour toujours"!34 Par ailleurs, la FFR (XV) ira jusqu'à demander au Ministre de l'Education Nationale de prendre des sanctions administratives contre des enseignants d'EPS prônant la pratique du Rugby à XIII car ils trouvaient le XV trop dangereux pour de jeunes scolaires.35 De plus, lorsque les frères Vandernotte - rameurs nantais médaillés de bronze aux JO de Berlin - voudront pratiquer le Rugby à XIII comme dérivatif avec leurs amis du club treiziste amateur de leur ville, la Fédération d'Aviron (FFSA), solidaire de la 30 L'Auto, 10 Janvier 1934. 31 Ce pacte affinitaire sera signé entre six "grandes" fédérations: Athlétisme, Aviron, Football, Natation, Rugby à XV et Tennis. Voir L'Echo des sports, 9 Janvier 1934, et L'Auto, 12 Janvier et 20 Mars 1934. En 1939, par manque de temps du fait de la tension internationale, Jean Zay ne pourra faire aboutir son projet de création d'un Conseil National des Fédérations (CNF), regroupant démocratiquement et sans exclusive tous les sports - dont le Rugby à XIII - ayant obtenus l'agrément de l'Etat. Ce projet visait au remplacement du très conservateur Comité National des Sports (CNS), ce dernier voulant maintenir des critères "particuliers" d'admission et de reconnaissance au sein du mouvement sportif français, lesquels permettaient d'en exclure le XIII (jugé dissident) pour y protéger la FFR (XV). L'intention du ministre de tutelle était particulièrement dénuée d'ambiguïté: "Le Comité national des fédérations sera seul habilité dans les rapports du sport français auprès des Pouvoirs Publics" (Jean Zay, 7 Mars 1939). 32 Au niveau des terrains de sport, la FFR (XV) a constamment pratiqué une politique visant à interdire l'accès des stades au Rugby à XIII. Dès 1934, tout propriétaire d'installation sportive qui souhaitait organiser un match de Rugby à XIII se voyait adresser un ultimatum lui précisant que, s'il donnait suite à son projet, son terrain serait interdit à la pratique des autres sports, XV et Football notamment, d'où une forte perte de recettes. Après-guerre, la FFR (XV) procédera de manière plus sournoise en subventionnant des municipalités lors de travaux sur leur stade tout en assujettissant cette aide financière à un engagement du Maire à ne faire pratiquer que le seul Rugby à XV comme sport de balle ovale, sur un terrain pourtant municipal. En Avril 1975, pour avoir refusé l'accès de son stade municipal au club de XIII suite à la clause restrictive imposée par un prêt de la FFR (XV) - le Maire de Montréjeau sera condamné par le tribunal administratif de Toulouse pour "discrimination entre les usagers d'une dépendance publique." La FFR (XV) n'en a pas pour autant modifié sa façon de procéder: en témoigne l'actuel Art. 412 de ses Règlements généraux qui stipule qu'un prêt pourra être consenti à une commune en échange de "l'engagement par la Municipalité de réserver exclusivement à la pratique du Rugby à XV et aux activités scolaires le terrain aménagé à l'aide des fonds prêtés" (Comité directeur de la FFR (XV) du 9 Août 1996, Rugby, n° 967, Mars 1997, p. 541). Ce prêt est octroyé au taux de 4%, et remboursable en 5 annuités. Donc, de l'exclusion à peu de frais à l'encontre du XIII! A noter que le texte officiel fédéral quinziste prend la précaution de bien préciser ici qu'il s'agit de "la pratique du Rugby à XV" alors que partout ailleurs dans les écrits officiels de la FFR ( XV) il n'est fait mention que de Rugby tout court. Mais, en l'occurrence, il est impératif qu'il n'y ait aucune confusion possible: il faut donc bien distinguer le XV du XIII. 33 Il n'est pratiquement pas de procès-verbal du Comité directeur de la FFR (XV) d'avant-guerre qui ne mentionne une ou plusieurs radiations définitives de quinzistes partis jouer au Rugby à XIII. 34 L'Echo des Sports, 9 Janvier 1934. 35 Voir Rugby, n° 213, 12 Janvier 1935 et n° 216, 2 Février 1935. Par ailleurs, L'Auto du 28 Octobre 1934 se fera l'écho du fait que l'Administration de l'Education Nationale s'opposera à ce qu'un professeur d'EPS puisse devenir arbitre de Rugby à XIII.

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FFR (XV), leur appliquera la ligne de conduite déjà adoptée pour tous ses licenciés, à savoir "de les rappeler à l'ordre [car], séduits par le nouveau jeu, [la FFSA se doit] de considérer les joueurs le pratiquant comme faisant partie d'un groupement dissident."36 Ce n'est donc pas uniquement contre le professionnalisme supposé du Rugby à XIII que lutte la FFR (XV), mais contre l'existence même de ce sport en tant que tel. Le Front Populaire avait voulu donner au Rugby à XIII une chance égale à celle des autres sports et le public avait ainsi librement pu faire son choix, sans le matraquage idéologique habituel en faveur du XV et de ses valeurs dont ce dernier tentait de s'approprier la légitimité par tous les moyens. Mieux, Léo Lagrange, puis après lui Jean Zay, proposeront un statut du sportif professionnel - que la guerre empêchera de mener à bien - largement inspiré de celui mis en place par le Rugby à XIII. 37 En effet, le néo-Rugby proposait à ses joueurs d'élite un contrat écrit qui leur garantissait, d'une part, un emploi civil (obligatoire) et, d'autre part, des primes de match en fonction de leurs résultats sportifs. Le joueur était donc socialement libre au-delà de son contrat et non pas en permanence dépendant du bon vouloir de ses dirigeants comme cela était le cas au Rugby à XV où, sous couvert d'amateurisme officiel et de valeurs nobles autodécernées, l'amateurisme marron inféodait tous les joueurs, jusque dans leur vie quotidienne, autant à l'hypocrisie qu'à l'omerta fédérales.38 Par ailleurs, le "tout professionnel" récemment adopté par le Football (1932), en éloignant le joueur de la vie sociale habituelle, aboutissait à la même inféodation de ce dernier, lequel n'avait plus d'autre choix que de briller sur le terrain pour s'en sortir socialement. Dans ces conditions, de nombreux joueurs quinzistes qui étouffaient littéralement au sein de la FFR (XV) autant à cause des relations sociales que de la médiocrité du jeu alors pratiqué en

36 L'Auto, 4 Janvier 1934. 37 Jean Zay proposera, lors de sa conférence du 7 Mars 1939, un "Plan de réorganisation de l'Education physique et des Sports." Voir à ce propos J. Louis Gay-Lescot, Sport et éducation sous Vichy, Lyon, PUL, 1991, p. 10 à 15, 35 et 197. 38 Hypocrisie du discours fédéral officiel de la FFR (XV) qui revendiquait un amateurisme intransigeant, conforme aux exigences du Board, à mettre en parallèle avec la loi du silence qui régnait dans les milieux quinzistes à propos des sommes d'argent et autres avantages en nature - sans oublier les emplois de complaisance - largement distribués aux joueurs. Avant de passer au professionnalisme, le dogme du XV prétendait qu'être amateur c'était être libre. Mais libre de quoi? En effet, les joueurs ne gagnant pas (officiellement) d'argent, il devenait alors impératif pour eux de respecter les lois du milieu quinziste au risque, sinon, de perdre les avantages sociaux qu'ils en retiraient. On trouvera, ainsi, de nombreux joueurs placés dans des activités commerciales pour lesquelles le large réseau quinziste sera une clientèle assurée. Mais gare à celui qui trahirait la cause: en ce cas le réseau fonctionnera à nouveau mais, cette fois, pour organiser le boycott du réfractaire. Ici réside, selon nous, l'explication principale du retour au Rugby à XV de Jacques Fouroux, après son éphémère et très médiatisé passage au XIII. A ce propos, Albert Ferrasse n'avait-il pas dit: "... c'est de la trahison. ... Sans le rugby, qu'est-ce qu'il serait. Il est devenu riche ..." (L'Equipe, 8 Novembre 1994)? Dans ces conditions, lequel était vraiment le plus libre: le quinziste "amateur" obligé de se soumettre toute sa vie pour exister socialement, ou le treiziste muni de son contrat "pro" au terme duquel il n'était redevable à personne?

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France39 - viendront au néo-Rugby et ce dernier prendra un envol spectaculaire avant la guerre, tandis que périclitait largement le Rugby à XV: le succès fulgurant du XIII malgré tous les barrages mis sur sa route (225 clubs en 1939, soit en 5 ans d'existence) allait alors de pair avec ce qui paraissait être l'irrémédiable déclin du XV (881 clubs en 1924 et seulement 473 en 1939).40

Récupération politique de l'isolement du XV français par les nazis: la FIRA A cette époque, en effet, le XV de France était exclu du Tournoi des 5 nations par les Britanniques pour cause de trop ostensibles amateurisme marron et racolage de joueurs, ainsi que de brutalités aggravées dans le championnat français, ces dernières ayant même entraîné quelques morts d'hommes sur les terrains. De 1932 à 1939, il n'y eut non seulement pas de Tournoi pour de vulgaires et indignes Coqs jugés trop triviaux outreManche, mais surtout aucun contact sportif rugbystique trans-Manche à quelque niveau que ce soit! Néanmoins, cet isolement du Rugby à XV français sur la scène internationale européenne sera mis à profit par les nazis, pour lesquels ce fut une aubaine, eux qui cherchaient à politiquement éloigner les Français des Anglais: il leur fallait, en effet, créer le plus de divergences possibles entre les deux puissances démocratiques susceptibles de s'opposer à l'expansionnisme du Reich. Et ce par tous les moyens. Etant donnée l'importance culturelle du Rugby à XV en Grande Bretagne, notamment au sein des Forces armées, ce domaine sportif offrait un terrain propice aux manoeuvres des 39 Juste avant la guerre, un des plus grands joueurs de toute l'histoire du Rugby à XV - Adolphe Jauréguy écrira à propos de son sport que "le public détourne les yeux, rêvant de Rugby à XIII" (A. Jauréguy, Qui veut jouer avec moi au Rugby?, Ed. Corréa, Février 1939, p. 148). 40 Témoignent à la fois des barrages contre le XIII et du déclin du XV les déclarations du Président de la FFR (XV) - Roger Dantou -, en Février 1938 à la presse anglaise: "... si la Rugby Union en Grande Bretagne voulait bien prendre en considération tout ce que nous sommes en train de faire contre le Rugby professionnel pour reprendre les relations avec nous, cela nous serait du plus grand secours" (News Chronicle, Février 1938, reprenant une dépêche de l'Exchange Telegraph). Cela au moment même où le Rugby à XIII reçoit l'agrément de l'Etat par le second gouvernement du Front Populaire (1er Ministère Camille Chautemps) et où le Rugby à XV français souffre le plus de son éviction du Tournoi des cinq nations: malgré l'action menée par ses puissants lobbies, la FFR (XV) reconnaît son impuissance à endiguer l'engouement général en faveur du XIII et implore, à cet effet, le pardon des Britanniques. Qu'elle n'obtiendra - pour raison d'Etat - qu'au printemps 1939, alors que la guerre devient inéluctable, lorsque la diplomatie anglaise réalisera qu'il est grand temps de supprimer toute source potentielle de dissension avec les Français au moment où l'Entente cordiale va devoir fonctionner au mieux face au belliqueux IIIe Reich. Voir R. Fassolette, Histoire politique du conflit des deux Rugby en France..., op. cit., III, 1, [2], où il est montré que - contrairement au discours officiel montrant des fédérations britanniques de Rugby à XV (Home Unions) renouant de leur plein gré avec une FFR (XV) leur ayant donné toutes les garanties d'une bonne conduite sportive (thèse proposée par J. Pierre Bodis, Histoire mondiale du Rugby, Toulouse, Privat, 1987, p. 217) - c'est le Foreign Office qui interviendra pour qu'elles se réconcilient d'urgence avec la FFR (XV), car cette dernière entretenait alors de très gênantes (car excellentes) relations avec l'Allemagne nazie par le biais de la FIRA. La fraternité d'armes à venir exigeait un ciel sans nuages dans les relations rugbystiques trans-Manche.

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propagandistes nazis dont les mains étaient ainsi laissées libres sur le continent en matière de Rugby à XV. C'est pourquoi, aussi inattendu que cela puisse paraître, le Rugby à XV sera l'un de ces moyens de propagande de la "paix brune" car le sport constituera un des axes majeurs de la politique d'apaisement et de séduction des nazis auprès de leurs voisins européens: jamais, en effet, les rencontres sportives franco-allemandes n'avaient atteint un tel rythme. En 1934 naîtra donc la Fédération Internationale de Rugby Amateur (FIRA) qui, de façon surprenante, regroupera des pays dont nombre de joueurs français devaient ignorer qu'il s'y pratiquât du Rugby à XV. Surgiront ainsi dans l'univers de l'ovale (outre la Roumanie que la France a déjà rencontrée en 1924), l'Italie de Mussolini, le Portugal de Salazar, l'Espagne en voie de déchirement, la Catalogne (!) 41, la Belgique et les Pays Bas42! Et bien entendu l'Allemagne, maître d'œuvre de l'opération, hitlérienne depuis un an, où le Rugby à XV contribue activement à l'éducation des Junkers. Dans tous ces pays le Reich a de solides antennes, bases avancées pour ses sources de renseignement, comme le Comité France-Allemagne chez nous où Fernand de Brinon, grand sympathisant quinziste43, joue les premiers rôles au service d'Otto Abetz et de Ribbentrop.44 Dans ceux de ces pays non encore acquis au fascisme, des antennes comme ce Comité France-Allemagne servent de couverture, dans le cadre de rencontres sportives et culturelles, à la mise en place des moyens de sape et de propagande nécessaires à l'avènement programmé de l'ordre nouveau. Autant dire que la pratique du Rugby à XV n'est pas véritablement le but premier des Allemands au sein de la FIRA. En effet, le Président du Rugby germanique, Hermann Meister, "nazi éprouvé"45, y tirera 41 La presse s'inquiétera de cette reconnaissance péremptoire de la Catalogne comme entité propre: "Espérons que la décision prise ... ne nous vaudra pas de difficultés diplomatiques avec l'Espagne mais la Fédération de Rugby [la FIRA] ... a commencé par reconnaître l'existence nationale de la Catalogne" (L'Auto, 3 Janvier 1934). 42 Pour ces deux pays, on se reportera à A. H. Paape in Revue d'Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale, n° 66, Avril 1967. On y découvre, pour la Hollande, que le parti du "Mouvement National Socialiste" (NSB), fondé fin 1931, comptait 1000 membres en 1933, 20 000 au printemps 1934, et 40 000 en 1935, année où il réalisera un score de 8% aux élections. Certains de ses dirigeants avaient des relations personnelles avec Himmler! En Belgique, Léon Degrelle avait fondé en 1933 le mouvement rexiste qui réclamait un gouvernement fasciste et prôna la collaboration avec l'occupant nazi pendant la guerre. Hitler avait besoin d'une efficace cinquième colonne dans chacun de ces deux (plats) pays, faciles à envahir pour entrer en France et barrer la route aux Britanniques, au moment de l'assaut nazi contre les démocraties. 43 Voir Paul Voivenel, Mon beau Rugby, Toulouse, L'Héraclès, 1942. L'auteur deviendra Président d'honneur de la FFR (XV) pendant la guerre, au moment du retour de Laval aux affaires (Avril 1942). Il cite Fernand de Brinon (dont nous savons par ses Mémoires que le sport de prédilection était, toutefois, l'équitation) dans une liste "d'anciens joueurs de rugby" (p. 71), tous notables du régime de Vichy. 44 Pour les relations entre F. de Brinon et les dignitaires nazis, voir - entre autres - Henry Rousso, La collaboration, MA Editions, 1987, p. 15 et 45, et Michaël Bloch, Ribbentrop, Paris, Plon, 1996 (1re éd. en allemand, 1992). 45 Sur les modifications apportées au sport allemand par Hitler, voir J.T. Fieschi, Histoire du sport français de 1870 à nos jours, Paris, PAC, 1983, p. 85-86: "Le 28 Février 1933, un décret notifia la dissolution de toutes les fédérations existantes. Elles furent diluées dans un nouvel organisme coiffant

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toutes les ficelles. De plus, indice qui ne trompe pas sur la prégnance nazie au sein de cette FIRA, sa première langue officielle en sera l'allemand. 46 Et non pas le français, pourtant langue du pays membre le plus puissant rugbystiquement parlant et qui revendique la paternité de la FIRA. En effet, pour être politiquement correcte sur le plan historique, la FFR (XV) fait véhiculer en permanence depuis l'après-guerre - autant auprès du grand public que des milieux sportifs (personnages politiques, journalistes et enseignants de sport ou d'EPS en particulier) - la croyance que c'est elle qui est à l'origine de la FIRA. Pour J.P. Bodis 47 la FFR (XV), exclue du Tournoi, "prend l'initiative de structurer les activités des nations méprisées" par les Britanniques; pour Henri Garcia48 la FIRA "fut fondée en 1934 sur une initiative française." Or, c'est bien Hermann Meister lui-même qui déclare à la presse française: "Je suis heureux de constater que les efforts que j'ai faits ont trouvé un écho."49 La FFR (XV) reconnaîtra également, par le biais de sa revue fédérale, que "sur le plan international, l'action du Fürher du Rugby allemand s'est révélée aussi heureuse que féconde. Le président allemand fut l'un des plus actifs promoteurs de la (...) création de la FIRA."50 Enfin, les archives de la FIRA parlent d'elles-mêmes lorsque le procès verbal de sa première réunion constitutive, le 2 Janvier 1934 à Paris, mentionne qu'il est "rendu hommage aux efforts réalisés grâce à l'initiative allemande."51 Ce n'est donc pas un simple élargissement sportif impulsé par la FFR (XV) mais bien une volonté politique émanant de l'Allemagne nazie que l'on trouve à l'origine de la FIRA. Ainsi, la naissance de cette fédération continentale de Rugby à XV s'avère-t-elle bien être le résultat, d'une part, d'une situation présentant une FFR (XV) aux abois et quelque peu affolée devant l'implantation d'un (autre) Rugby qui va non seulement séduire les spectateurs et les "profs de gym" par ses qualités à la fois spectaculaires et pédagogiques mais aussi ramener les Anglo-saxons devant le public français, et, d'autre part, de l'exploitation par l'Allemagne nazie de cette situation de perdition du Rugby à XV en France pour piloter un projet d'expansion européenne lui offrant une opportunité unique de mettre en place sa stratégie de simulation pacifiste dans les pays où elle avait intérêt à être présente. Pour tenter coûte que coûte tant de surmonter l'ostracisme international imposé à elle par les Britanniques que de contrer ce Rugby à XIII dont elle connaissait fort bien tous les seize groupes de sports classés par affinités. A leur tête, des nazis éprouvés remplaçaient le personnel républicain." 46 L'Auto, 25 Mars 1934. 47 Histoire mondiale du Rugby, Toulouse, Privat, 1987, p. 262. 48 Le Rugby (coll.), Kister, Genève, 1958, tome II, p. 94. 49 L'Auto, 4 Janvier 1934. 50 Rugby, n° 221, 9 Mars 1935. 51 Le texte de ce document historique est repris dans l'Annuaire de la FIRA, édition 1993, p. 4.

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atouts52, la FFR (XV), le dos au mur face à sa virtuelle extinction, en viendra donc idéologiquement (car nombre de ses propres dirigeants étaient alors très sensibles aux nouveaux accents totalitaires), mais aussi - et peut-être surtout - par une sorte de réflexe reptilien de survie (au sens où l'entendrait Henri Laborit en matière de biologie des comportements), à s'acoquiner aux nazis d'avant-guerre.53

VICHY: l'assassinat programmé du Rugby à XIII Cela aura pour conséquence, dès les premières heures de Vichy, de permettre au lobby quinziste avide de revanche - bien en place auprès des nouveaux maîtres du pays auxquels il fournira même un personnel politique de premier plan (ministres, édiles municipaux...54) et fort de nombreuses relations avec l'occupant, nouées notamment dans le cadre de la FIRA - d'obtenir sans peine la suppression institutionnelle du Rugby à

52 En témoigne cette déclaration, faite bien avant l'arrivée du Rugby à XIII en France, d'un personnage "fort écouté dans les conseils de la Fédération française [FFR (XV)]" à un journaliste qui en fait état après le premier match international de néo-Rugby impliquant une équipe française à domicile: "Je souhaite que l'on ne voie jamais en France jouer une équipe de la Rugby League [XIII]. A partir de ce jour-là, les Français ne voudraient plus voir jouer d'autre jeu" (L'Echo des sports, 24 Avril 1934). Plus de 20 000 spectateurs avaient, en effet, assisté au premier France-Angleterre à XIII, le 15 Avril 1934, au stade Buffalo de Paris. 53 A noter qu'après la guerre - et l'effondrement allemand - la FFR (XV) réactivera la FIRA (1948) en y prenant le contrôle permanent et absolu des postes clés: une conception bien particulière de la démocratie pour une Fédération regroupant actuellement près de 70 pays. En effet, aucun autre dirigeant que Français n'y a jamais exercé, en quelque cinquante années, les fonctions de président, secrétaire général ou trésorier! Albert Ferrasse en fut le Président jusqu'en décembre 1997. Son successeur, Jean-Claude Baqué, est encore un Français… Faut-il voir également dans la réactivation de la FIRA, le 21 Février 1948 à Milan, une nouvelle tentative de la FFR (XV) pour ne pas être en reste devant le Rugby à XIII français ? En effet, ce dernier venait tout juste, le 25 Janvier précédent à Bordeaux, de concrétiser l’initiative de son dynamique président d’alors, Paul Barrière (28 ans), de donner une forme officielle et consistante à l’International Rugby League Board, organisme jusque là assez peu institutionnalisé des puissances treizistes mondiales: c’est dire l’aura dont bénéficiait le XIII français de cette époque auprès des Anglosaxons. 54 Citons par exemple, au niveau des ministres, Joseph Pascot, ex-international de XV, Commissaire Général à l'Education Générale et aux Sports, d'Avril 1942 à Août 1944, après avoir été Directeur des Sports de Jean Borotra de Septembre 1940 à Avril 1942; ou encore Serge Huard, ancien deuxième-ligne du très conservateur Racing Club de France, Secrétaire d'Etat à la Famille et à la Santé d'Août 1941 à Avril 1942. Au niveau municipal, certains responsables du Rugby à XV, comme à Toulouse André Haon et Albert Ginesty, furent "appelés par le Maréchal Pétain à la tête de la Délégation Spéciale qui rempla[ça] le Conseil Municipal suspendu" (La Dépêche, 23 Septembre 1940). Haon et Ginesty étaient également Présidents d'honneur du Stade Toulousain (XV). Albert Ginesty, Président en exercice de la FFR (XV), deviendra donc maire-adjoint chargé des sports: il avait été Président de ce Stade Toulousain (XV) avant de devenir, en Juin 1939, Président de la Fédération (après le décès de Roger Dantou). Nommées le 20 Septembre 1940 par décret du Ministre de l'Intérieur, Marcel Peyrouton, les délégations spéciales deviendront ensuite des municipalités officielles: en effet, le 11 Février 1941, au lendemain même de la nomination de l'Amiral Darlan au poste de Vice-président du Conseil, André Haon sera officiellement nommé Maire de Toulouse. Ce dernier avait mis à disposition les salons du Capitole pour que se tienne, le 17 Octobre 1940, la réunion dite "des quatre" - Joseph (Jep) Pascot (représentant Jean Borotra), Albert Ginesty et Paul Voivenel (FFR XV) ainsi que Marcel Laborde (LFR XIII) - de laquelle sortira l'ukase imposant la cessation de pratique du Rugby à XIII en France.

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XIII: d'abord de facto le 3 Octobre 194055, le jour même où est promulgué le statut des Juifs, puis définitivement, de jure, par décret en Décembre 1941.56 Il ne s'agit pas ici, bien entendu, de faire un amalgame par trop réducteur, mais il est nécessaire de bien comprendre que le contexte de "la défaite justifie des mesures radicales (...) et permet de les prendre."57 Et ce en tout domaine, en sport comme ailleurs. Vichy voulait une France "racialement pure"; la FFR (XV), participant du même principe, mettra à profit cette superbe occasion pour elle de se débarrasser de la gênante concurrence treiziste en rendant le sport français, si l'on peut dire, "rugbystiquement pur." Pour avoir été défendu par un Front Populaire tolérant, le Rugby à XIII sera, à l'instar de celui-là, érigé en bouc émissaire et, dans ce contexte si particulier, rendu également responsable de la cuisante défaite - sportive celle-là - du Rugby à XV auprès du public.58 Pour les traditionalistes de la balle ovale, la vision treiziste du jeu représentait la décadence du Rugby, cette décadence à laquelle Vichy - sur le plan général de la nation voulait mettre fin. L'ordre nouveau exigeait que les coupables soient condamnés et châtiés: le Rugby à XIII sera éradiqué du sol national par cet Etat Français dont les milices, entre tant d'autres, assassineront également Jean Zay (1944), lequel, par ailleurs, avait beaucoup fait, avant-guerre, pour s'opposer aux anti-treizistes... Quant à celui que ses opposants traitaient de "ministre de la fainéantise" avant la guerre - Léo Lagrange -, il s'engagera volontairement, bien que non mobilisable, et tombera au champ d'honneur en Juin 1940. Il peut être valablement considéré comme le premier "grand" défenseur politique du Rugby à XIII. L'absence de ces deux personnages politiques à la Libération sera fort préjudiciable à ce dernier et pèsera lourd sur son avenir institutionnel. En effet, la FFR (XV) n'avait pas oublié, selon l'air du temps de 1940, de faire acte de spoliation nécrophage à l'encontre du Rugby à XIII: après l'avoir fait disparaître 55 De ce fait, et pour reprendre le titre même de l'ouvrage de Jean-Pierre Azéma, ce sera véritablement, pour le Rugby à XIII aussi, 1940, l'année terrible (Paris, Seuil, 1990) 56 En 1947, l'acte d'accusation de F. de Brinon devant la Haute Cour de justice mentionnera "ses efforts en faveur de ... tout ce qui pouvait dresser les Français contre les alliés" (La Gironde Populaire, 3 Mars 1947): aura-t-il alors joué un rôle, à la demande de Ribbentrop, dans le "rapprochement forcé" XV/XIII sous Vichy, en 1940? En effet, réintroduire les treizistes au sein de la FFR (XV) ne pouvait qu'ostensiblement aller contre les règlements de l'amateurisme édictés par les Home Unions et ainsi provoquer - à nouveau de graves dissensions entre la FFR (XV) et les Britanniques, eux qui venaient tout juste de consentir - en raison de la guerre - à oublier quelque peu leurs griefs vis-à-vis du Rugby à XV français, lequel se serait donc retrouvé au coeur d'un enjeu diplomatique anglo-allemand (Voir R. Fassolette, Mémoire pour le diplôme de l’INSEP, op. cit., III, 1). 57 R.O. Paxton, La France de Vichy, Paris, Seuil, 1973, p. 147. 58 Dès sa première saison d'existence, le succès rencontré par le Rugby à XIII avait déjà fortement infléchi à la baisse les recettes de la FFR (XV). En témoigne ce qu'en dit Edmond Laurent, Secrétaire Général de la FFR (XV), au Congrès de 1935: "Je dois reconnaître que la situation de notre trésorerie apparaît, sinon comme grave, du moins comme méritant un examen attentif et approfondi ...", in Rugby, n° 233, 31 Août 1935. Cette tendance ira en s'affirmant et, au Congrès 1938 de la FFR (XV), le même E. Laurent dira: "Je sais que les difficultés financières ne nous permettent, hélas, surtout actuellement, qu'une action modérée, réticente. ... Les diminutions de recettes ... nous ont causé un tort considérable", in Rugby, n° 358, 30 Juillet 1938.

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institutionnellement, elle le fera dépouiller de tous ses biens (mobiliers et immobiliers) par voie politique officielle59, lesquels seront mis à la disposition du pouvoir quinziste via le Comité National des Sports (ancêtre de l'actuel CNOSF). Les archives du Rugby à XIII d'avant-guerre ayant été saisies par la police de Vichy et demeurant introuvables (détruites?), il s'agirait, selon des sources britanniques 60, d'un montant estimé à 1 200 000 F de 1940, et ce pour les seuls avoirs bancaires de la Fédération treiziste. Sans compter les stades en propriété propre et autres installations, ainsi que tous les biens des quelque 225 clubs, adeptes de ce néo-Rugby, que l'on força alors à se convertir au XV ou à cesser d'exister! L'humanisme treiziste était incompatible avec la révolution nationale, alors que l'on compta tant sur le Rugby à XV pour la mettre en place, surtout auprès des jeunes. L'inquisition vichyste ne fut pas un vain mot en matière de balle ovale. Ainsi, au regard de l'enchaînement des faits et événements relatifs à la politique d'exclusion de Vichy - et bien qu'il n'y ait absolument aucune commune mesure entre les deux en terme d'abomination -, il est cependant possible d'établir un parallèle entre la mise en place des lois anti-juives et la procédure aboutissant à la disparition du Rugby à XIII, au seul plan, bien entendu, des mécanismes de fonctionnement de l'exclusion mis en place par Vichy. En effet, les Juifs furent d'abord soumis à un statut qui, entre autres exigences, restreignit sévèrement leurs libertés et limita considérablement - voire leur interdit - la pratique de certaines professions. Quant à lui, le Rugby à XIII ne s'est-il pas vu autoritairement imposer, dans un premier temps, d'intégrer la Fédération de Rugby à XV au sein de laquelle sa pratique fut (officiellement dans un tout premier temps, mais n'était-ce pas pour donner le change?) réduite à celle des seuls Scolaires..., ce qui n'advint jamais, la pratique treiziste disparaissant, en fait, dès le 20 octobre 1940 (voir le fac-similé de L’Auto en document annexe)? Par ailleurs, en ce qui concerne les Juifs, Vichy accentua la pression sur eux, en 1941, en procédant à l'aryanisation de leurs biens, c'est-à-dire qu'était mise en place une spoliation - politiquement voulue et administrativement organisée - du patrimoine juif, l'étape ultime advenant en 1942 avec la mise en œuvre de la solution finale visant à l'éradication pure et simple du peuple juif. Pour le Rugby à XIII, n'est-ce point en 1941, également, que fut rédigé par les autorités de Vichy le décret légalisant la dissolution du support fédéral treiziste qu'était la Ligue Française de Rugby à XIII (LFR XIII), supprimant ainsi toute possibilité de retour institutionnel de ce sport en France. Dissolution assortie d'une sorte d'"aryanisation sportive" des biens du Rugby à XIII en ce que tout le patrimoine treiziste 59 Voir, ci-joint, copie du décret n° 5285 du 19 Décembre 1941 "portant dissolution de la Ligue française de rugby à treize", paru au J.O. de l'Etat Français le 27 Décembre 1941, signé de Ph. Pétain et de Jérôme Carcopino, alors Ministre de tutelle des Sports dont Jean Borotra était le Commissaire général. 60 News Chronicle, 22 Novembre 1945.

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fut saisi et, aux dires mêmes de J.P. Bodis 61, transféré à la FFR (XV), via le Comité National des Sports (CNS), ce dernier ayant été attributaire, par décret, des biens treizistes. C'est-à-dire que ce que possédaient les parias treizistes était remis entre des mains idoines, compatibles avec la Révolution nationale. Cependant, dans la perception actuelle des données historiques, il ne fait pas l’ombre d’un doute que la notion de solution finale doit exclusivement demeurer attachée à l’Holocauste. Par contre, il ne pourra pas, au terme de notre développement, être contesté que certains mirent tout en œuvre, dès le début du régime de Vichy, pour mettre un point final - alors voulu comme définitif - à la pratique du Rugby à XIII en France. Etablir ce parallèle - même si l'on ne prend en compte, rappelons-le, que le seul plan des mécanismes d'exclusion - entre le sort du Rugby à XIII et celui des Juifs sous Vichy pourra, malgré tout, aux yeux de certains, apparaître comme totalement iconoclaste. Mais notre intention n'est ici que d'uniquement mettre en évidence jusqu'où Vichy put étendre son registre en matière d'ostracisme. En effet, comment ne pas s'interroger devant la juxtaposition des déclarations suivantes où les termes "Juif" et "Rugby à XIII" sont quasiment interchangeables: - "Un Juif est un parasite qui vit sur la peau du peuple aryen, et il faut l’extirper." 62 - "Le Rugby à XIII est un champignon, une excroissance monstrueuse qui s'est formée sur un corps malade: la Fédération [XV]."63 - "La France était atteinte d'un transport juif au cerveau dont elle a failli mourir. Il nous a bien fallu prendre le bistouri." 64 - "Le jeu de Rugby voit pousser sur son corps affaibli le kyste monstrueux du professionnalisme [XIII] (...). Il faut mettre le fer dans toutes ces plaies. (...) le

61 Notre conversation avec J.P. Bodis, historien sérieux du Rugby à XV, en date du 17 Janvier 1995. 62 André Frossard, Le crime contre l’humanité, Paris, Robert Laffont, 1987 (rééd. 1997), p. 53. L’auteur rappellera cette citation lors de sa déposition au procès de Klaus Barbie, le 25 Mai 1987 à Lyon (déposition citée à nouveau, en vidéo, par la partie civile au procès de Maurice Papon, le 7 Janvier 1998 à Bordeaux). Cette phrase était celle qu'un sous-officier SS faisait constamment répéter à un prisonnier juif, compagnon de cellule d'A. Frossard (voir Le Monde, 9 Janvier 1998). 63 Déclaration de Fernand Forgues, président d'honneur de la FFR (XV), in Herman Grégoire (dir.), La guerre des deux Rugby (Collection "Les croisades sportives"), Paris, H. Grégoire (Ed.), 1938, p. 32. Cette publication est un recueil d'articles des plus prestigieuses signatures du journalisme sportif de l'époque (Pierre About, Maurice Baume, Charles Gondouin, Marcel de Laborderie...). Elle fut publiée en 1938, juste après que le gouvernement eut donné l'agrément des pouvoirs publics au Rugby à XIII (12 Janvier 1938). Sentant le danger que pourrait constituer un Rugby à XIII reconnu officiellement, le lobby quinziste mobilisa tout son réseau pour mettre en place ce que l'on peut considérer comme de l'"antitreizisme." Les tenants du dogme de l'ovale firent donc, en quelque sorte, prêcher la "croisade sportive" contre le XIII! 64 Déclaration de Xavier Vallat, Commissaire général aux questions juives du gouvernement de Vichy, citée par Denis Peschanski, "Vichy ne voulait pas savoir", L'Evénement du Jeudi, 6-12 Novembre 1997.

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bon sens conseille de soigner par le feu et le bistouri. (...) le sport français doit rejeter tout corps étranger."65 De plus, le fait que les déclarations ci-dessus, concernant le Rugby à XIII, datent de l'immédiat avant-guerre montre bien que Vichy ne s'avéra pas seulement être, pour certains, une opportunité de passage à l'acte en matière d'antisémitisme, mais qu'il en fut de même en terme de sport, dans le domaine précis du ballon ovale du fait que, contrairement aux autres disciplines, ce dernier offrait deux optiques philosophiques possibles envers le même jeu, comme s’il y avait aussi en matière de Rugby deux religions antinomiques. Ainsi, qu'il s'agisse du problème aussi grave et lourd de conséquences que l'élimination des Juifs ou de celui, apparemment, aussi peu important voire futile, en comparaison - de la disparition du Rugby à XIII pendant les années sombres de l'Occupation, on en arrive bel et bien à accréditer l'idée que, quel que fût le domaine d'exclusion concerné, "les idées étaient là dans quelques esprits (...) et il suffisait de les "mettre en musique"."66 Pour le Rugby à XIII, la "note" sera particulièrement salée et le goût saumâtre lui en reste, encore de nos jours, dans la bouche: en effet, non seulement il lui faudra attendre plus d'un demi-siècle pour recouvrer son nom légitime, mais - en plus - aucun de ses biens spoliés ne lui sera restitué à la Libération. Et ne l'a été à ce jour. Pourquoi? En fait, tout sera tenté par le toujours omniprésent lobby quinziste pour maintenir, au-delà de 1944, l'interdiction vichyste contre le Rugby à XIII car la très pro-quinziste (ou antitreiziste?) Administration "Jeunesse et Sports", mise en place sous Vichy par Jean Borotra dès Novembre 1940, échappera à l'épuration ("le sport ce n'est pas politique"(!)67) et sera donc maintenue en poste en 1945 et bien au-delà.68 Est-ce alors par fidélité à la philosophie vichyste de soutien au XV ou, tout simplement, pour ne pas avoir à se déjuger (car reconnaître la faute commise à l’encontre du XIII aurait pu attirer plus précisément l’attention sur ses agissements entre 40 et 44), ou peut-être les deux à 65 H. Grégoire, La guerre des deux Rugby, op. cit., p. 2. 66 D. Rémy, Les lois de Vichy, Paris, Romillat, 1992, p. 16. 67 Pour sa défense lors de son procès en 1946, le Colonel Pascot répondra à un juré en citant les propos tenus à son égard par l'un de ses supérieurs, le Général Duval, sur le fait qu'il occupait le poste de Commissaire Général à l'Education Générale et aux Sports dans le gouvernement de Vichy: "le poste que vous occupez est un poste qui est absolument apolitique et dans lequel vous pouvez rendre des services" (Ministère public c/ Colonel Pascot, Haute Cour de Justice, audience du 12 Juillet 1946, p. 41). 68 Voir sur le sujet les travaux des historiens J.Louis Gay-Lescot, Sport et éducation sous Vichy, op. cit., et Marianne Amar, Nés pour courir... , op. cit. Il est à noter que l’Administration Jeunesse et Sports est la seule des Administrations françaises à avoir été créée sous Vichy ‘par un régime qui gêne les consciences’ d’où peut-être ce sentiment de culpabilité, souligné par J.L. Gay-Lescot, ‘d’une administration étoffée ...qui n’est pas remaniée [à la Libération] ... [ce qui] génère chez tous ceux qui restent en place (l’écrasante majorité) une solidarité, le réflexe d’un corps qui veut oublier ses origines tout en refusant absolument une quelconque responsabilité...’ (p. 207-208).

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la fois : toujours est-il que, malgré le ‘vent de réforme qui souffle sur le pays libéré’69, elle fera tout pour s’opposer au redémarrage du néo-Rugby. Toutefois, elle ne parviendra pas à contrecarrer la volonté du jeune Président treiziste, Paul Barrière, issu de la Résistance, lequel, au prix d'un âpre combat institutionnel, permettra que la justice soit rétablie, du moins partiellement. En effet, sans qu'aucun nouveau sport ne soit créé, une nouvelle appellation va apparaître, autoritairement dictée par les pouvoirs sportifs et administratifs: celle de Jeu à XIII (1946)70. Cela pour rendre légalement impossible toute restitution des biens spoliés sous Vichy, ce que prévoyait pourtant une ordonnance du Gouvernement d'Alger, signée du Général De Gaulle le 2 Octobre 1943: le XIII sera ainsi le seul à ne pas bénéficier de ces dispositions légales prévoyant (Art. 3) que "les associations existant au 16 Juin 1940 se reconstitueront de plein droit" et que "les biens des groupements dissous (...) leur seront rétrocédés." En effet, le Rugby à XIII n'existant plus officiellement en 1946, rien ne pouvait donc lui être "rétrocédé" puisque personne ne pouvait, ni légalement ni légitimement, réclamer quoi que ce soit en son nom : en effet, le tout jeune Jeu à XIII ne pouvait avoir été spolié en 1941 puisqu’il n’existait encore pas! Le Rugby à XIII d’avant-guerre était donc retiré de l'histoire du sport français. Il n'avait même plus existé! Pour bien illustrer ce propos qui pourrait paraître excessif, il suffira de mentionner qu'à la Libération la FFR (XV) retirera de ses listes officielles les noms de 32 de ses joueurs qui étaient "passés au XIII" avantguerre après avoir été internationaux à XV: toute trace du passé treiziste devait être effacée! Ces listes amputées seront publiées au su et au vu de tous comme, par exemple, dans l'Encyclopédie générale des sports...71, publication officielle éditée fin 1946 par le

69 J.L. Gay-Lescot, op. cit., p. 206. 70 Le caractère autoritaire de l’appellation Jeu à XIII peut se démontrer à la simple observation du texte de l’arrêté ministériel du 25 Novembre 1946, où ce libellé apparaît pour la première fois à titre institutionnel. Au lieu de figurer dans la liste alphabétique des Fédérations, alors dites de Première catégorie, entre celles de Hockey et de Lutte, la nouvelle Fédération Française de Jeu à XIII est mentionnée sur cette liste – alphabétique, rappelons-le – entre les Fédérations de… Rugby (tout court = XV) et de Ski, c’est-à-dire en lieu et place d’une Fédération de Rugby à XIII : cette observation montre bien que là où il y avait eu du Rugby à XIII on ne voulait plus qu’il y en ait. En fait, le Jeu à XIII c’était bel et bien, malgré tout, du Rugby à XIII, mais sans en être officiellement et, partant, sans en avoir été avant-guerre, ce qui permettait – par le biais de cette nouvelle dénomination – de démarrer tout un processus d’occultation à l’encontre de l’histoire de cette discipline, processus aux conséquences toujours très actuelles (voir, ci-joint, fac-similé de l’arrêté du 25/11/46). 71 op. cit., Paris, Ardo, 1946, p. 658-659. Les noms "effacés" vont de Roger Ramis (n° 151) à René Arotça (n° 331) en passant par Jean Galia (222), Jean Duhau (239), Robert ("Bob") Samatan (253), Ernest Camo (262), Max Rousié (264), Roger Claudel (280), Joseph Desclaux (290), Antoine Blain (293) et Félix Bergèse (309) pour ne citer que quelques-uns des plus connus d'entre eux. A l'heure actuelle, ces 32 noms ont regagné leur place légitime sur les tablettes de la FFR (XV).

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Comité National des Sports et dans le préambule de laquelle il est précisé que "l'idée directrice de cet ouvrage est de très exactement renseigner ses lecteurs"... mais il n'y est nulle part fait mention de l'activité treiziste, laquelle a pourtant repris depuis Septembre 1944, avec à la clé deux titres de Champion de France et deux trophées de Coupe de France (1945 et 1946). Ainsi, alors même qu'il était bien vivant, l'institution sportive française refusa de reconnaître l'existence passée et présente du Rugby à XIII en l'occultant de façon systématique! En agissant de la sorte envers le XIII lors de l'immédiat après-guerre, les dirigeants du sport français - lesquels pour "la plupart (...) dans la débâcle, sous Vichy, ont fait le dos rond, subissant l'Histoire sans intervenir"72 n'affichaient-ils pas ainsi, de façon flagrante, une certaine nostalgie de l'idéologie vichyste en matière de sport?

Ghetto, mémoire et réparation Mais le public reviendra en nombre dans les stades treizistes accorder son soutien au proscrit de Vichy. Vouloir alors continuer à interdire le XIII, au moment de la Libération, aurait abouti à faire de ce néo-Rugby un martyre. D'où le moyen terme de Jeu à XIII, étape intermédiaire vers le nouvel ostracisme concocté par la FFR (XV). Elle attendra donc une conjoncture plus propice. En effet, malgré ses merveilleux résultats des années 5073, le XIII de France des Puig-Aubert, Brousse, Ponsinet, Merquey, Crespo et autres Cantoni, ne parviendra pas à faire sauter le verrou du soutien politique renouvelé au Rugby à XV.

72 Marianne Amar, op. cit., p. 36. 73 Champion du monde 1951 (titre non officiel d'un XIII de France qui battra toutes les autres nations treizistes cette année-là); puis finaliste de la première Coupe du monde, disputée en France en 1954 (le 13 Novembre, devant un Parc des Princes garni de plus de 30 000 spectateurs, Puig-Aubert et ses coéquipiers s'inclinèrent, 12-16, devant la Grande Bretagne)... Notons encore l'ironie de l'histoire qui verra L'Equipe titrer sur l’excellence mondiale du XIII de France, et ce le jour même (23 Juillet 1951) où disparaissait celui dont le nom figurait comme signataire principal du décret qui avait éliminé le Rugby à XIII de l'univers sportif français en 1941, à savoir un certain Philippe Pétain. Voir L’Equipe, 50 ans de sport (1946-1971), Paris, Ed. P. Amaury, tome 1, 1995, p. 100-101 : ‘Le XIII de France Champion du Monde. Aux vainqueurs des antipodes Marseille réserve un accueil triomphal ... dans un enthousiasme indescriptible.’ Ainsi, lorsque Marseille célébra les joueurs de l’OM, Champions du Monde 1998 avec le XI de France d’Aimé Jacquet, ce n’était pas la première fois que la Canebière accueillait des Champions du Monde. Mais il ne se trouva personne, à notre connaissance, pour rappeler que près d’un demi-siècle auparavant les treizistes avaient été les devanciers des footballeurs. 1951, était-ce déjà trop loin ? Ou bien, replacer le XIII dans la mémoire collective pouvait-il être gênant ?

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Le départ de Paul Barrière en 1955 - à un moment de guerre froide où les résistants tombent quelque peu en disgrâce et où les lois d'amnistie générale sur Vichy 74 permettent, à la fois, aux anciens "collabos" de se refaire une santé politique (puisque l'ennemi n'est plus allemand mais soviétique) et, par voie de conséquence, aux dirigeants quinzistes de relever à nouveau le menton face au Rugby à XIII 75 - inaugurera un demisiècle de ghettoïsation institutionnelle pour la discipline treiziste: virtuellement absente de la formation des enseignants d'EPS (peut-être pour ne pas gêner la FFR (XV) en abordant de façon comparée autant l'histoire que la pédagogie des deux Rugby?), vilipendée comme sport le plus dangereux par le biais de statistiques76 - outrageusement falsifiées mais toujours utilisées de temps à autre - présentant sans vergogne le Rugby à XIII comme un fléau public car "75% des blessures subies dans ce sport occasionne[raie]nt des séquelles graves"77 (sic!) et, enfin, parent plus que pauvre des media, elle se repliera sur elle-même, condamnée à se taire et à péricliter. Et à subir de nouveau l'ordre quinziste au moyen des fameux "Protocoles XV-XIII"78, lesquels, dès 1946-47, sous couvert du Ministère de la Jeunesse et des Sports, visaient à amoindrir de plus en plus le Rugby treiziste renaissant en le tenant administrativement en laisse, un peu comme ce fut le cas de la religion protestante au terme de la signature de l’Edit de Nantes: certes tolérée, mais avec bien des restrictions dans la liberté de culte, tout en visant, sinon son extinction qu’on espérait néanmoins, du moins la stricte limitation de son rayonnement, 74 Lois des 5 Janvier 1951 et 24 Juillet 1953. Le débat parlementaire précédant la seconde se prononcera "pour une amnistie totale" (H. Rousso, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, 1990, p. 68). Cette seconde loi d'amnistie sera promulguée le 6 Août 1953. 75 Alors qu'elles n'existaient pas auparavant, apparaissent ainsi, en 1952, dans les règlements généraux de la FFR (XV), de nouvelles dispositions interdisant "à quiconque ayant appartenu à la Ligue de Jeu à 13 d'exercer une fonction à la Fédération" (Annuaire FFR 1952-53, Art. 4, p. 134). Le "Jeu à 13" étant alors officiellement reconnu comme une Fédération délégataire par les pouvoirs publics, comment peut-il se faire que ces derniers aient laissé s'installer une situation de ségrégation sportive au détriment du Rugby à XIII? Imagine-t-on, en effet, les autorités françaises cautionner le fait que, par exemple, la Fédération de Football puisse interdire à quiconque de prendre une licence en son sein, sous prétexte d'avoir précédemment fait du Hand-Ball ou tout autre sport agréé? De même, un article prévoit que la FFR (XV) puisse faire interdire "tout terrain sur lequel se serait disputé un match de Rugby professionnel" (in ibidem, Art. 34, p. 144). Et ce sans le moindre contredit de la part de l'Administration "Jeunesse et Sports." En matière de Rugby, les pouvoirs publics français apporteraient-ils donc leur soutien au Rugby à XV, même s'il faut pour cela bafouer quelque peu l'éthique républicaine? 76 Revue Française du Dommage Corporel, Ed. J.B. Baillière, 1980, n° 4, Tome 6, archives du CDIA (Centre de Documentation et d'Information de l'Assurance), Paris. Cette revue publie une enquête conduite par le Dr Thiébault, pour le compte de la Mutuelle Nationale des Sports (MNS), portant sur "les séquelles des traumatismes sportifs sur le plan statistique" (in Le sportif mutualiste, Juillet 1980, p. 3). 77 Le dossier du CDIA, n° 78, Juillet 1983. 78 Le dernier "Protocole" en date sera signé en 1972 et sera renouvelé (avec ou sans amendements) tous les 4 ans jusqu'à ce que la Fédération de Rugby à XIII décide, en 1989, de ne plus se laisser enfermer dans cette situation administrative piège qui était, par ailleurs, totalement irrecevable sur le plan

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dans le cadre d’une marginalisation bien orchestrée. Aussi, l'ukase vichyste n'étant plus démocratiquement possible contre le XIII, il s'agissait de procéder dorénavant par asphyxie lente. Pour assurer à la FFR (XV) une sérénité sans encombre. Et lui permettre de mieux encore dissimuler son aussi terrible qu'inavouable secret: avoir, à ce jour, à "entretenir" plus de 100 joueurs paralysés (majoritairement tétraplégiques)! 79 Mais n'oublions pas, non plus, le soutien apporté au Rugby à XV par la presse sportive d'influence - c'est-à-dire essentiellement L'Equipe, véritable résurgence métamorphique du très collaborationniste L'Auto80 - qui décrétera un ostracisme quasi total sur le XIII à partir du moment où il tentera de refaire surface, menaçant ainsi l'hégémonie quinziste, comme par exemple avec l'expérience du PSG XIII à Paris, en 1996 et 1997. Les 17 873 spectateurs du premier match - victorieux - à Charléty durent suffisamment effrayer le lobby quinziste pour que, quelques semaines plus tard, pas un seul mot ne figure dans L'Equipe - de toute la semaine précédant la rencontre - pour annoncer la venue à Paris de constitutionnel puisqu'il y était prévu, dans un cadre légal de sport amateur, une restriction du libre choix de pratique des joueurs. 79 "Depuis 1977, les accidents du rugby ont établi un cruel record: cent quatre tétraplégiques en France" (L'Equipe Magazine, n° 788, 10 Mai 1997). Ceci est à rapprocher du constant constat: 1) des autorités médicales internationales du Rugby à XV: " le nombre des blessures graves continue d'être enregistré à un niveau hautement inacceptable" (Commission médicale de l'International Board de Rugby à XV, 14 -15 Mars 1984, in Minutes of the IRFB, p. 1398-1399, Archives du Board); et 2) des instances de la FFR (XV) s'occupant de ces grands blessés, lesquelles s'inquiètent devant "ce nombre de handicapés qui ne faiblit pas" (Rapport annuel de l'association Rugby amitié, cité dans Midi Olympique, 9 Mai 1994). La FFR (XV) avait initialement décidé d'assurer un salaire minimum à ses grands blessés (48 000 F annuels en 1989, revalorisés à 54 000 F en 1995, puis à 56 000 F depuis le 1er Janvier 1998). Mais devant l'ampleur croissante des "dégâts", elle s'est associée, en Juillet 1989, à la Fondation de France pour que tout nouveau grand blessé se voie attribuer un capital (de 1 à 1,8 MF en fonction du handicap) à gérer pour le restant de ses jours. Toutefois, la FFR(XV) indemnise toujours sur ses fonds propres, à hauteur d'environ 3 millions de Francs annuels à ce jour, non seulement les 47 paralysés qu'elle a reconnus avant le 1er Juillet 1989, mais également 35 veuves et 47 orphelins: c'est bien là la véritable "partie immergée de l'iceberg ovalien" (Midi Olympique, 19 Janvier 1998, p. 20). En témoigne encore cette lettre du Docteur Jacques Mombet, Président de la Commission médicale de la FFR (XV), qui répond par courrier en date du 28 Octobre 1999 à une inquiétude du Président de l’association OUGNA (Philippe Racz) devant les modifications de règles qui, en interdisant désormais de pousser en mêlée dans toutes les catégories de re jeu (à l’exception des 1 et 2me divisions nationales), vont, selon ce dernier, à l’encontre de l’esprit de combat du XV : ‘ ... c’est devant l’accroissement régulier et dramatique des accidents graves de la colonne cervicale dans ces catégories que nous avons pris cette mesure en urgence... Rappelons que pour ces lésions, nous sommes champions du Monde, nous avons 4 fois plus d’accidents de ce type que les autres grandes nations du Rugby. C’est ce qui a provoqué cette augmentation considérable de l’assurance.’ 80 Voir M. Amar, Nés pour courir..., op. cit., p. 38-41. L'auteur y parle de L'Auto, interdit dès la Libération, comme "d'un journal qui a largement contribué à la diffusion de la propagande nazie" (p. 38) et cite, entre autres, un article du 26 Juillet 1940, signé Charles Faroux, qui "a excité l'antisémitisme et la xénophobie" (p. 39). Or, nous retrouvons ce même Charles Faroux, en première page du n° 1 de L'Equipe (28 Février 1946), signataire d'un article intitulé... "Le premier devoir": en somme, ce sont les anciens de L'Auto "collabo" qui se transforment en nouveaux donneurs de leçon! Aurait-on repris les mêmes pour recommencer? Nous pouvons rajouter au dossier cette prise de position de L'Auto soutenant la Charte des Sports que venait de promulguer le gouvernement de Vichy: "Nous nous trouvons devant la notion du gouvernement d'autorité que l'on a trop souvent demandé en France pour en contester aujourd'hui le bien-

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Wigan, le club anglais Champion du monde! Il fallut attendre pas moins de trois jours pour y lire - dans un entrefilet - le résultat du match!81 La concurrence qui régnait dans la presse sportive des années 30 entre L'Auto et L'Echo des Sports, ce dernier enthousiaste sur le néo-Rugby, faisait se remplir les stades treizistes; le monopole absolu de L'Equipe (et sa défense inconditionnelle du Rugby à XV) pour celle des années 90 aboutit à l'occultation de l'événement treiziste et à une totale désinformation. En fait, lorsque l'on observe le comportement de L'Auto-L'Equipe en matière de soutien à l'un ou l'autre des deux Rugby depuis l'émergence du XIII en France il y a plus de 60 ans, on constate que ce quotidien sportif ouvre beaucoup plus largement ses colonnes au XV qu'au XIII mais tout se passe comme s'il gardait en réserve le second au cas où le premier viendrait à perdre sa notoriété publique, comme ce fut le cas avant-guerre lorsque, devant l'isolement international imposé au XV de France par les Britanniques et le déclin concomitant de la FFR (XV), L'Auto commença à prendre fait et cause pour le néo-Rugby autant en raison d'un Championnat de France treiziste au jeu éblouissant que des retentissants succès d'alors du XIII de France... et des ventes que cela engendrait! Ce retournement de tendance sera stoppé par la guerre et, surtout, par Vichy. Cependant, après un procès de 8 années intenté par une FFR (XV) n'acceptant pas que les treizistes, derrière leur Président Jacques Soppelsa (alors Président de la Sorbonne), aient eu l'outrecuidance de relever la tête en revendiquant leur appellation d'origine, le Rugby à XIII se verra reconnaître par la Justice française le droit de porter à nouveau son nom légitime (1993). Non sans que le pouvoir politique, volant à la rescousse de la FFR (XV), ne tente de s'y opposer, et notamment le Ministère de la Jeunesse et des Sports... La longueur disproportionnée de ce procès, pour ce qui n'est en apparence qu'une simple question d'appellation de fédération sportive, traduit bien la détermination de la FFR (XV) fondé" (L'Auto, 30 Décembre 1941: c'est-à-dire trois jours après la promulgation du décret de dissolution du Rugby à XIII au J.O. de l'Etat Français du 27 Décembre 1941)! 81 Dans un reportage sur le PSG XIII, L'Equipe Magazine n° 792, du 7 Juin 1997, montre une photo du stade Charléty - une immense tribune garnie de quelques rares spectateurs avec l'équipe du PSG au premier plan - ainsi légendée: "Le PSG XIII, équipe de mercenaires australiens, évolue en Ligue professionnelle, mais devant des tribunes vides" (voir document ci-joint). Or, cette photo a été prise bien en dehors du temps de match lui-même car les joueurs, rassemblés autour du préparateur physique, effectuent des exercices d'étirement. Cette photo est cependant publiée à la veille du 6me match à domicile du PSG XIII, soit après 5 matchs à Paris en saison 1997, moment où la moyenne des spectateurs treizistes à Charléty est de 8074, chiffre à rapprocher de celui de 8026 de moyenne pour toute la saison 1996 - 11 matchs à Paris -, soit le 5me rang sur les douze clubs en compétition (source: statistiques officielles de la British Rugby Football League, Leeds). Une telle désinformation ne manifeste-t-elle pas un parti pris anti-XIII de la part du seul quotidien sportif de France? La préméditation dans l'intention de nuire n'est-elle pas ici manifestée par cette photo à la légende outrageusement mensongère, contribuant ainsi à la large diffusion d'idées reçues négatives sur le XIII? Les spectateurs potentiels peuvent-ils être, dans ces conditions,

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à tout entreprendre pour empêcher le retour officiel du Rugby à XIII: elle épuisera ainsi tous les recours possibles, du Tribunal de grande instance 82 à la Cour de cassation83 en passant par le Conseil d'Etat84 et la Cour d'appel85! Heureusement en vain, au regard du devoir de mémoire. En effet, n'y aurait-il pas derrière un tel acharnement juridique, d'une part, l'impérieuse nécessité pour l'Etat et la FFR (XV) d'occulter leur collaboration vichyste visant à détruire et spolier le Rugby à XIII et, d'autre part, leur farouche obstination à ne pas voir revenir le Rugby à XIII à un statut institutionnel lui permettant de leur demander, devant l'histoire, des comptes et des réparations? Ne furent-ils pas, en effet, tous deux ses "bourreaux" sous l'Occupation? Ainsi, lorsque le Président de la République, Jacques Chirac, institue par son discours du 16 Juillet 1995 ce qu'aucun de ses prédécesseurs n'avait encore, à ce jour, accepté de reconnaître, à savoir la "dette imprescriptible" de la France envers certaines catégories de Français, notamment les déportés juifs du pays et, ipso facto, envers les ayants droit de ces victimes en matière de réparation des torts subis sous Vichy, ne procède-t-il pas, ce faisant, à l'amorçage de l'élargissement de cette reconnaissance de responsabilité à toutes les victimes du régime vichyste? Le 25 Janvier 1997, le Premier Ministre Alain Juppé, à propos des biens spoliés sous Vichy, parlera de "démarche morale" et de "devoir national" et préconisera que "toute la lumière soit faite sur cette période tragique de l'histoire de notre pays." Position confirmée par son successeur à Matignon, Lionel Jospin, lorsque ce dernier affirme, le 20 Juillet 1997, que "le gouvernement veillera à ce que toute la lumière soit faite sur les spoliations qui ont frappé, entre 1940 et 1945, des patrimoines immobiliers, financiers ou artistiques."86 Par ailleurs, dans le cas du Rugby à XIII, cette responsabilité politique en ce qui concerne Vichy, doit être étendue au gouvernement provisoire de la République, plus démocratique cette fois, de l'immédiat après-guerre (automne 1946). En effet, en officialisant à la tentés d'aller voir jouer une équipe qui n'intéresserait personne? Serait-ce vrai uniquement parce que L'Equipe l'a écrit? 82 Le premier jugement sera prononcé le 29 Septembre 1987. 83 Deuxième Chambre civile; Arrêt n° 697; Rejet; Pourvoi n° 91-19. 275; Bulletin civil en date du 4 Juin 1993. 84 Décision n° 75 920; séance du 13 Mars 1989; lecture du 31 Mars 1989. 85 Arrêt du 25 Juin 1991. 86 Le Monde, 22 Juillet 1997, qui précise également que dorénavant "la France, celle de droite et celle de gauche, parle d'une seule voix pour analyser son histoire", cela en rupture avec les positions tant du Général De Gaulle que de François Mitterrand qui refusèrent toute leur vie d'associer la France et le régime de Vichy. La nouvelle tendance est donc de prendre en compte la totalité de l'histoire contemporaine de notre pays, en y incluant pleinement ce que l'on tenta de mettre entre parenthèses pendant plus d'un demi-siècle.

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demande des milieux quinzistes influents l'appellation de Jeu à XIII - perçue à l'époque, puis pendant cinquante ans, par bien des treizistes comme humiliante 87 - les pouvoirs publics d'alors se donnaient les moyens, d'abord, de faire croire à une attitude aussi démocratique que bienveillante de leur part envers ce sport en instituant de nouveau sa pratique (alors que cette dernière sera, en fait, administrativement bien plus encadrée et contrôlée que les autres88) et, ensuite, d'éviter, à eux-mêmes comme à la FFR (XV), par ce changement d'appellation, la réparation des torts considérables subis par les treizistes sous l'Occupation. La responsabilité politique des torts causés au Rugby à XIII - de 1940 à bien au-delà de la Libération - est ainsi largement démontrée par les documents officiels si l'on veut bien, toutefois, accepter d'en analyser la portée et la signification profondes. Or, de par le monde, de nombreux processus d'excuses et de réparations sont en cours pour des exactions ou autres torts subis pendant la dernière guerre par des victimes sans défense. Ainsi, le gouvernement japonais vient-il, dans un premier temps, de s'excuser officiellement auprès de la Corée pour avoir, à l'époque, contraint à l'esclavage sexuel nombre de jeunes coréennes pour les troupes de l'empire du soleil levant, et, ensuite, de démarrer un programme de réparation financière au bénéfice des victimes survivantes. 89 Quant à la Suisse, elle a adressé, en 1995, des excuses officielles au peuple juif en reconnaissant sa conception pour le moins biaisée de sa neutralité à l'époque: en effet, nombreux furent ceux qu'elle refoula à ses frontières qui cherchaient à échapper aux 87 Arrêté du 25 Novembre 1946, cf. supra, note 71. De plus, non seulement le XIII, rabaissé au rang de simple jeu, n'était plus un vrai sport, mais il n'était même plus du Rugby. Il est à noter que le terme "jeu" revêtait, au sortir de la guerre, un aspect dévalorisant, quelque peu dégradant même, dans ces années où tout était planifié, organisé, prévu... y compris en sport, alors que de nos jours la Théorie des jeux s'impose partout dans le monde économique moderne. 88 Dès la fin de 1946, devant le retour du succès pour ce Rugby à XIII contre lequel elle n'avait pu maintenir l'interdiction vichyste, la FFR (XV) obtiendra le soutien de l'Etat dans sa requête de tenir les treizistes à distance pour que ces derniers ne puissent plus librement évoluer en France et être ainsi à nouveau, comme avant-guerre, à l'origine de la désaffection du public envers le Rugby à XV. Une série d'accords, dénommés "Eluère/Barrière" (du nom des Présidents respectifs XV/XIII), seront ainsi signés entre Décembre 1946 et l'été 1947, sous l'égide du Colonel Gaston Roux, Directeur des sports: c'était là le début de la limitation de liberté de mouvement des joueurs entre les deux disciplines, laquelle sera ultérieurement confirmée et accentuée par la signature des "Protocoles XV/XIII" à partir de 1972, toujours sous le contrôle du Ministère Jeunesse et Sports (cf. supra, note 79). Sous des dehors équitables, ces protocoles étaient en fait particulièrement défavorables au Rugby à XIII du fait de l'ostracisme quasi total frappant ce sport en milieu scolaire. Que serait, en effet, le Hand-Ball en France sans la pratique scolaire permettant de le découvrir, via les enseignants d'EPS? Sans l’école comme vivier, ce sport aurait-il pu devenir Champion du Monde en 1995 ? Ainsi, au-delà de l'absence du Rugby à XIII dans les media, les "profs de gym" ne bénéficiant d’aucune formation sur ce sport, comment les jeunes Français se seraientils dirigés vers le XIII en ne connaissant que le XV à l'école, alors qu'à partir de leur majorité le Protocole leur interdisait pratiquement de "passer à XIII" s'ils étaient déjà licenciés à la FFR (XV)? Le Rugby à XIII était donc bien loin d'être un sport autonome: avec - une nouvelle fois - la complicité de l'Etat, la FFR (XV) l'avait institutionnellement muselé. Tout comme les Protestants l’avaient été - malgré une tolérance bien réelle, mais de façade, masquant sa pseudo-égalté - par l’Edit de Nantes.

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camps nazis alors qu'elle permettait aux tortionnaires d'ouvrir de nombreux comptes anonymes pour y entasser les biens issus des spoliations. Sous la pression des révélations d'archives, la lumière est en train de se faire sur cet épineux dossier de l'"or nazi": sa restitution aux familles des victimes spoliées est dorénavant possible. L'Autriche a, elle aussi, récemment engagé une procédure d'indemnisation et de réparation envers ses ressortissants juifs, spoliés sous le nazisme.90 De même, le Portugal, la Norvège, la Suède... reviennent actuellement sur leur passé des années sombres. 91 Il est même jusqu'à l'Episcopat français à avoir "demand[é] pardon à la communauté juive pour les compromissions de la hiérarchie catholique avec le régime de Vichy."92 Sont ensuite venues les excuses publiques de l'Ordre des médecins, des Policiers... Ainsi, les dramatiques conséquences de la guerre en général et de l'holocauste en particulier sont donc, en France comme ailleurs, en voie de solution positive, ce qui est une bonne chose au sens de la mémoire et du respect de la Justice: la reconnaissance des torts, puis la réparation, sont, en effet, un préalable indispensable à tout pardon. Mais il est encore des domaines, en France, où la lumière n'a pas encore été publiquement faite sur les années sombres et leurs victimes. Le Rugby à XIII est au rang de ces dernières. Il ne s'est jamais relevé de l'inique interdiction, assortie d'extorsion préméditée, qui le frappa en 1940. De Vichy, s'agirait-il là du dernier tabou? Le Rugby à XIII français ne doit pas être oublié de la liste de ces victimes et il doit bénéficier, à ce titre, des mêmes procédures d'excuses et de réparations de la part de ceux qui - certes, comme on l'a vu, toutes proportions gardées, car il s'agit ici de l'élimination d'une institution sportive et non pas de personnes physiques - agirent cependant de concert pour total(itair)ement l'anéantir, selon des mécanismes mentaux, politiques et administratifs en bien des points semblables à ceux qui présidèrent à la mise en place de la solution finale: il fallait alors - en Rugby comme ailleurs - absolument supprimer toute éventualité d'entrave à ce retour à la tradition voulu par Vichy, en ôtant

89 Voir The Times, 15 Août 1996. 90 Voir Libération, 27 Novembre 1996. 91 Voir The Times, 28 Janvier 1997, ainsi que Libération et Le Figaro, 27 Janvier 1997. 92 Le Monde, 21-22 Septembre 1997, évoquant la cérémonie organisée à cet effet à Drancy (93), le 30 Septembre 1997.

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définitivement, à ceux qui représentaient un obstacle pour y parvenir, toute possibilité d'en perturber - par leur existence même - l'immédiate mise en œuvre. Le gouvernement de Vichy voulait, en fait, organiser au plus vite la revanche. Mais pas contre l'Allemagne. Contre ce "pourrissement" interne de la France qu'il attribuait au Front Populaire et à la démocratie, c'est-à-dire contre ce libéralisme anglais dont s'était si largement inspiré le socialisme d'avant-guerre car il permettait à tout individu de pouvoir se mettre en valeur, ce en quoi le Rugby à XIII était, dans le domaine sportif, un véritable archétype tant par son mode contractuel de fonctionnement que par ses contacts internationaux. Contre tout cela Pétain réinstaurera le corporatisme, c'est-à-dire la soumission de l'individu à des principes fixés en dehors de lui par le(s) maître(s), et, partant, l'exclusion du dissident, de celui qui sortirait du droit chemin. Pétain cherchait ainsi à mettre un terme à ce qui était, pour lui, une guerre civile idéologique interne à la France. Pour ce faire, il remettra au goût du jour - en les récupérant au profit de la Collaboration, notamment grâce au sport et à son impact sur les jeunes - les valeurs collectives qui avaient permis, guère plus de vingt ans auparavant, de dresser la nation pour gagner la Grande Guerre et de si bien le mettre "en valeur", lui qui en était devenu Maréchal. Ces mêmes valeurs nationalistes utilisées par les nazis pour "redresser" l'Allemagne vaincue de 1919. Ainsi, au nom de la régénération de la race alors prônée par les chantres de la Révolution nationale, le Rugby orthodoxe - idéologiquement engagé vers l'Allemagne via la FIRA sera logiquement érigé en Rugby d'Etat car, pour ses doctrinaires, "le Rugby à XV (...) conserve le bénéfice de la pureté absolue de ses origines opposée à la pollution de la dissidence."93 En conséquence de quoi, des citoyens français qui avaient librement choisi de pratiquer un sport internationalement établi et institutionnellement reconnu en France depuis 1934 (ainsi que, en tous points, conforme aux lois de la République 94), furent-ils 93 Paul Voivenel, Mon beau Rugby, op. cit., p. 225. L'auteur, notable emblématique de la FFR (XV) - exprésident du Stade Toulousain (XV) avant la Grande guerre, puis, dans l'entre-deux-guerres, du Comité des Pyrénées de Rugby à XV- connu pour ses accents lyriques (il écrivait dans la presse sous le pseudonyme de "La Sélouze"), participera activement, aux côtés du Commandant (futur Colonel) Joseph Pascot, bras droit de Jean Borotra, et d'Albert Ginesty, Président fédéral quinziste du moment, à la mise en place étatique de l'interdiction du XIII en France (cf. supra, notes 44 et 55). Une compétition de la FFR (XV) porte d'ailleurs, encore de nos jours, le nom de "Coupe Voivenel." Pour services rendus à la cause du XV sous Vichy? 94 La FFR (XV) ne se mettra en harmonie totale avec les lois de la République qu'au milieu des années 60 (Journal Officiel du 16 Novembre 1966). Soit plus de 30 ans après le Rugby à XIII! Jusqu'à cette date, en effet, le Rugby à XV français n'était pas en absolue conformité avec les exigences démocratiques en matière de sport, le Conseil d'Etat estimant, notamment, que les pouvoirs accordés au Comité directeur fédéral étaient trop excessifs. Cette situation sera à nouveau soulignée par le Conseil d'Etat, le 6 Janvier...

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mis du jour au lendemain - sous l'effet d'un des plus coercitifs traits de plume de l'Etat Français en matière de sport - devant l'impérieuse obligation d'intégrer le Rugby à XV (ou de ne plus du tout jouer au Rugby), c'est-à-dire - "purement" et simplement - de cesser d'exister en tant que treizistes. Cela aussi s'est passé en France. Entre 1940 et 1944. 

1998! Le Rugby à XIII pourrait alors revendiquer le droit d'antériorité du premier Rugby entièrement légal à avoir été reconnu par la France, le 6 Avril 1934, jour du dépôt des statuts en bonne et due forme de la Ligue Française de Rugby à XIII.

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